dimanche 8 février 2015

Se faire tout à tous

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Lecture biblique :1 Corinthiens 9.16-23

Si l'apôtre Paul parle de lui-même dans ce texte, ce n'est pas pour se mettre en avant. Le contexte permet de le comprendre. En effet, il est attaqué, contesté par certains qui refusent de reconnaître son autorité d'apôtre. Il doit donc se défendre. Il parle au début du chapitre de sa vocation et du travail qu'il a accompli jusque-là. Et dans notre texte, il nous donne à entendre ses motivations profondes, la perception qu'il avait de sa mission, avec cette fameuse formule : « Je me fais tout à tous ». 

« Je me fais tout à tous ». La formule est choc. Paul utilise le verbe grec ginomai qui signifie « naître ». Il s'agit donc pour lui presque de devenir quelqu'un d'autre pour rejoindre son interlocuteur. Dans la perspective de l'apôtre, la priorité, c'est les autres. Pour qu'il puisse remplir sa mission, il faut qu'il devienne quelqu'un d'autre, quelqu'un d'audible, de compréhensible, d'accessible, que son interlocuteur soit Juif ou Grec. 

Ce n'est pas directement un texte d'exhortation. Paul ne dit pas : « Faites-vous tout à tous ! » Il parle de sa façon d'envisager les choses, celle d'un apôtre entièrement dévoué à sa vocation. Mais on devine aisément qu'il y a à la fois un fondement théologique fort et un souci pragmatique évident derrière cette formule. L'un et l'autre faisant bon ménage ! L'un et l'autre pouvant, du coup, interpeller notre façon d'être témoins du Christ nous-mêmes.


Un fondement théologique : l'incarnation

Quel est le fondement théologique de cette affirmation : « Je me fais tout à tous » ? Finalement, que dit-il dans ce passage ? Il affirme que, sans contrainte, il choisit de se faire serviteur de tous. Avec les Juifs, il vit comme un Juif. Avec ceux qui n'ont pas la loi de Moïse, il vit comme s'il n'avait pas lui-même cette loi. En somme, il cherche à devenir exactement comme ceux avec qui il vit. Et ce, dans un seul but : leur faire connaître le salut.

A quoi cela fait-il penser ? Quel est le modèle de Paul pour agir ainsi sinon le Christ ? Celui de l'hymne christologique de Philippiens 2 :
Lui, il est l'égal de Dieu, parce qu'il est Dieu depuis toujours. Pourtant, cette égalité, il n'a pas cherché à la garder à tout prix pour lui. Mais tout ce qu'il avait, il l'a laissé. Il s'est fait serviteur, il est devenu comme les hommes, et tous voyaient que c'était bien un homme. 
S'il y a bien quelqu'un qui s'est fait tout à tous, c'est Jésus-Christ ! Lui, le Fils de Dieu devenu homme. Lui qui a renoncé à la gloire céleste pour devenir serviteur. Lui qui est devenu comme nous pour nous rejoindre... et pour nous sauver. 

On pourrait dire que Paul applique à son ministère la théologie de l'incarnation. Il est disciple de Jésus-Christ ; il veut vivre à l'exemple de son maître. Et du coup, il accepte de renoncer à certains droits pour se mettre au service des autres. Juif parmi les Juifs. Païen parmi les païens. Comme le Fils de Dieu est devenu homme parmi les hommes.


Un souci pragmatique : l'efficacité du témoignage

L'apôtre Paul est un grand théologien mais il est aussi un grand pragmatique. Cette lettre aux Corinthiens en est un témoignage. Et derrière cette fameuse formule, il y a aussi un souci pragmatique qui ressort particulièrement quand on considère la phrase en entier : « Je me fais tout à tous, pour en sauver sûrement quelques-uns. »

Dans cette épître en particulier, Paul a un souci constant de l'image que renvoie notre façon de vivre l’Église et de l'implication que cela a pour le témoignage de l’Évangile. Il y fait référence par rapport à la façon de vivre le culte, l'exercice des pratiques spirituelles, la façon de célébrer la Cène, la gestion des conflits dans l’Église,  mais aussi la façon de s'habiller, la place des hommes et des femmes dans la communauté, etc... La préoccupation de l'apôtre est toujours de se demander quel impact, positif ou négatif, notre façon de vivre notre foi peut avoir sur ceux qui en sont témoin. 

C'est aussi dans cette épître qu'on trouve cette autre formule choc : « Tout est permis mais tout n'est pas utile ». Où être utile doit s'entendre comme être utile à la communauté, être constructif, édifiant. La question à se poser n'est pas « ai-je le droit de faire ceci ou cela » mais « est-ce que ce que je fais est utile pour la communauté » ?

Le souci pragmatique de l'apôtre Paul, c'est que rien ne vienne faire obstacle à l'accueil de l’Évangile chez son prochain, qu'il soit Juif ou Grec. Et pour cela, il faut qu'il adapte sa façon d'être à la sienne. Il ne s'agit pas bien-sûr de faire n'importe quoi, juste pour suivre le mouvement... Le même apôtre Paul dit bien dans son épître aux Romains de ne pas se conformer au monde présent (Rm 12.1). Il s'agit donc de faire preuve de discernement. Mais il s'agit aussi de se demander comment dire l’Évangile pour être entendu, comment vivre en témoin du Christ avec notre prochain, quel qu'il soit ?


Nous faire tout à tous, aujourd'hui ?

Si, comme l'apôtre Paul, nous sommes disciples du Christ, alors nous devons suivre son exemple et nous faire aussi tout à tous... Mais concrètement, qu'est-ce que cela signifie pour nous, aujourd'hui ? Je vous propose trois pistes de réflexion :

D'abord, il s'agit de se décentrer de soi pour s'ouvrir à l'autre. Se faire tout à tous implique de connaître et de comprendre les autres. Et pour cela, il faut faire l'effort de sortir de sa bulle de chrétien, s'extraire de sa sous-culture évangélique. Impossible d'être français parmi les français, ou toulousain parmi les toulousains, si nous ne vivons pas avec eux !

Ensuite, il faut accepter une démarche de renoncement. A l'image du Christ qui a renoncé à la gloire céleste pour se faire serviteur. A l'exemple de l'apôtre Paul qui était prêt à se soumettre à la loi de Moïse alors qu'il n'était pas obligé de le faire. Et là, nous sommes assez en contradiction avec notre société où les droits sont élevés au-dessus des devoirs, où le plus important semble être la préservation des acquis et jamais leurs remises en question. 

Enfin, il faut oser interroger nos pratiques, qu'elles soient individuelles ou communautaires. Qu'est-ce qui peut être de l'ordre du contre-témoignage dans notre vie quotidienne, dans nos pratiques d’Église ? Qu'est-ce qui parasite le message que nous voulons transmettre ?


Conclusion

Dans notre façon d'envisager l'évangélisation, nous ferions bien de nous inspirer de l'exemple de Paul. Comme lui, associons fondement théologique et souci pragmatique. 

Le fondement théologique, et l'exemple suprême, c'est l'incarnation du Fils de Dieu, devenu homme parmi les hommes pour se faire serviteur de tous. Juif avec les Juifs. Grec avec les Grecs. Soyons toulousain avec les toulousains !

Le souci pragmatique pour Paul prend racine dans son souhait de rejoindre ses contemporains, quels qu'ils soient, « pour en sauver sûrement quelques-uns ». Et là notre réflexion doit être concrète et interroger les moyens mis en œuvres, identifier ce qui parasite notre message.

Se faire tout à tous... C'est à la fois agir à la suite du Christ, Dieu devenu homme, et mettre tous ses efforts à rejoindre, comprendre, aimer, nos contemporains. C'est notre mission de disciple de Jésus-Christ.

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