dimanche 28 avril 2024

Vous serez vraiment libres

 

Ce matin, ma prédication sera un peu particulière… J’avais à cœur de partager avec vous quelque chose d’une expérience marquante que j’ai vécue récemment. C’était il y a quelques jours, au cours du Forum Chrétien Mondial auquel j’ai eu le privilège de participer au Ghana. 

Dans ce cadre, nous avons visité le fort de Cape Coast, un ancien comptoir colonial qui a vu transiter 3 millions d’esclaves issus de la population africaine pendant les 4 siècles et plus de la période de traite des esclaves vers les Amériques. 

C’est une visite dont on ne sort pas indemne… Se retrouver sur le lieu même des atrocités commises, dans des cellules sombres et insalubres où on entassait des êtres humains comme du bétail. Voir de ses propres yeux ces lieux de supplice, marcher sur les pas des millions d’africaines et d’africains déshumanisés, traités comme des objets qu’on achète et qu’on vend. Se retrouver dans une cellule, soudain plongée dans le noir complet et savoir que c’est là, à même le sol, qu’on laissait sans nourriture et sans eau, ceux qui essayaient de résister, celles qui ne se laissaient pas abuser… 

Comment le cœur humain peut-il produire de telles horreurs ? Ça ébranle nos certitudes… parce que ce cœur humain, c’est aussi le mien. 

Mais le pire, sans doute, a été lorsque le guide nous a dit, depuis la place centrale du fort, que juste au-dessus des donjons où étaient emprisonnés et maltraité les esclaves, là se trouvait l’église. Les fidèles pouvaient ainsi prier et chanter des cantiques le dimanche alors même que sous leurs pieds, des hommes et des femmes étaient enchaînés, affamés, maltraités et mouraient. Les cantiques couvraient les cris et les pleurs…  Pour se rendre aux offices, les fidèles passaient même devant la trappe par laquelle on jetait la nourriture aux esclaves, à même le sol. 

Comment un tel cynisme est-il possible ? Comment la foi peut-elle être aussi aveuglée ? 

Il est souvent question de liberté et d’esclavage dans la Bible. Jésus lui-même l’utilise comme une métaphore spirituelle, laissant entendre que les esclaves ne sont pas forcément ceux qu’on croit, et les hommes et femmes libres non plus. 

Jean 8.31-36
31 Jésus dit aux Juifs qui avaient cru en lui : « Si vous restez fidèles à ma parole, vous êtes vraiment mes disciples ; 32 vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libres. » 33 Ils lui répondirent : « Nous sommes les descendants d'Abraham et nous n'avons jamais été les esclaves de personne. Comment peux-tu nous dire : “Vous deviendrez libres” ? » 34 Jésus leur répondit : « Oui, je vous le déclare, c'est la vérité : toute personne qui pèche est esclave du péché. 35 Un esclave ne fait pas pour toujours partie de la famille, mais un fils en fait partie pour toujours. 36 Si donc le Fils vous libère, vous serez vraiment libres.

Jean précise bien que Jésus s’adresse ici aux Juifs qui ont cru en lui. Il s’agit donc de croyants, il parle à ses disciples. Ce que Jésus dit ici nous concerne donc, nous qui sommes chrétiens. Mais les premiers auditeurs de ces paroles de Jésus ne comprennent pas. Vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libre ? Mais nous sommes libres ! Nous ne sommes pas et nous n’avons jamais été esclave de qui que ce soit ! 

Jésus précise alors sa pensée : « toute personne qui pèche est esclave du péché. »  On peut donc être esclave sans le savoir ! Jésus parle bien sûr d’un esclavage spirituel, d’une servitude qui n’a rien à voir avec les chaînes qu’on mettait aux poignets et aux chevilles des esclaves. D’ailleurs, spirituellement, à Cape Coast, ce sont les esclavagistes qui étaient les vrais esclaves. Ils étaient esclaves de leur péché, emprisonnés dans leur aveuglement, leur cynisme, l’appât du gain… 

Qu’est-ce qui nous rend libre ? La vérité ! On ne parle pas ici d’une vérité théorique, ou doctrinale. On ne parle pas d’une vérité qu’on pourrait détenir, qu’il faudrait défendre ou inculquer à tout prix. Il faut se méfier de ces vérités-là. La « vérité » des esclavagistes, c’était la distinction des races et la supériorité de l’une sur l’autre. Mais ça n’a rien d’une vérité, c’est au contraire un pur mensonge. 

La vérité dont parle Jésus, c’est la vérité de sa personne. Celle du Fils de Dieu venu faire œuvre de réconciliation avec Dieu. Il est, selon ses propres paroles, « le chemin, la vérité et la vie » (Jean 14.6)

Cette vérité-là, elle libère spirituellement même celui qui est esclave d’un point de vue humain. J’en veux pour preuve la suite de mon expérience vécue au cours de ma visite au fort de Cape Coast. 

Après la visite du fort, nous sommes montés jusqu’à la cathédrale méthodiste construite désormais sur les hauteurs de Cape Coast, pour un office particulier de lamentation. Et au cours de cet office, nous avons notamment chanté quelques spirituals. Ces chants que les esclaves afro-américains chantaient en travaillant dans les champs de coton, par lesquels ils exprimaient leur foi, leur lamentation et leur espérance.

Jesus is a rock in a weary land
« Jésus est un rocher dans une terre épuisée, un abri au temps de la tempête. » 

Sometimes I feel like a motherless child
« Parfois je me sens comme un enfant sans sa mère, loin de chez moi. Parfois je me sens comme déjà presque partie. Alors je me mets à genoux et je prie. » 

Chanter sa foi, sa lamentation et son espérance, tout en travaillant comme esclave dans les chants de coton… Quelle leçon de résilience, de foi, d’espérance !  Ce sont celles et ceux à qui on niait toute humanité qui donnaient une leçon d’humanité et de foi. En composant des chants qu’on chante encore aujourd’hui.

Même au plus profond du malheur, même dans les moments les plus sombres de l’histoire, que ce soit l’histoire de l’humanité, ou la petite histoire de notre vie, même au cœur de l’oppression, de la persécution, de la haine, la lumière de la foi et de l’espérance peut naître. 

Et ici c’est la figure de Jésus qui apparaît comme l’expression même de l’amour et de la solidarité de Dieu envers les plus petits, les maltraités, les rejetés. Lui-même, le Fils de Dieu devenu homme, a été rejeté, condamné injustement, torturé et crucifié. Jésus nous a rejoint dans notre souffrance jusqu’à la mort, il est notre rocher et notre espoir, notre secours et notre abri, d’autant qu’il est aussi ressuscité ! 

La foi des esclaves exprimée dans les Spirituals n’excusent en rien, évidemment, l’horreur de leur exploitation. D’autant que la justification de ce système inhumain au nom d’une supériorité de la soi-disant race blanche et de l’infériorité de la soi-disant race noire, et pour lequel on trouvait même des confirmations dans des versets bibliques détournés de leur sens, a donné naissance au racisme qui gangrène encore notre société. Un racisme qu’on ne voit pas seulement se manifester chez les suprémacistes blancs aux Etats-Unis mais aussi en Europe, sous différentes formes. Un racisme « ordinaire » qui subsiste encore, dans des a priori tenaces, des discriminations diverses… 

L’esclavage, et le racisme qui lui est lié, est sans doute l’une des pires transgressions du commandement fondamental « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».  Tu aimeras ton prochain parce qu’il est comme toi-même, créé à l’image de Dieu. 

Mais ce n’est pas la seule forme de transgression, loin de là. Même si l’esclavage a été officiellement aboli dans le monde, d’autres formes d’esclavage existent encore aujourd’hui. On les voit se manifester dans les processus de déshumanisation, d’exploitation, de discriminations… on en retrouve partout, et sous toutes sortes de formes. Le cœur humain n’a pas changé. 

Evidemment, c’est compliqué de s’extraire d’un système mondialisé. Mais on sait bien, par exemple, qu’en achetant certains produits à prix cassés, fabriqués à des milliers de kilomètres d’ici, par des êtres humains, voire des enfants, exploités, on entretient un système mortifère. On ne peut pas faire comme si on ne le savait pas… 

Et puis toutes les fois où on nie à l’autre son humanité, où on juge, on discrimine, on humilie, pour quelque raison que ce soit, que ce soit la couleur de la peau, la culture, le genre, l’orientation sexuelle, les convictions… on porte atteinte à l’image de Dieu en l’autre. On peut être profondément différent d’autrui, être en désaccord, même profond, avec ses convictions ou ses choix de vie, on n’a jamais le droit de lui ôter sa dignité d’être humain créé, comme nous, à l’image de Dieu. 

Toutes les fois où on prête l’oreille à certains discours haineux, stigmatisants, qui entretiennent la peur, le rejet de l’autre, surtout si on les like ou les partage sur les réseaux sociaux, ne s’en rend-on pas complice ? 


Conclusion

J’ai conscience d’avoir redit des choses que j’ai déjà dites assez récemment dans certaines prédications… Mais l’expérience que j’ai vécue lors de la visite à Cape Coast leur ont donné un relief particulier. Et je ne pouvais pas ne pas vous le partager… 

Une parole comme celle de Jésus mentionnée plus haut a, je dois le dire, une portée différente pour moi aujourd’hui. « Si le Fils vous libère, vous serez vraiment libres. » La liberté est un bien précieux à sauvegarder, une valeur pour laquelle il est légitime de se battre. Et elle peut, sous différents aspects, être remise en cause, y compris dans nos sociétés occidentales. 

La liberté est aussi une réalité spirituelle à recevoir en Christ et à développer. Je suis persuadé que la vie chrétienne est un chemin constant vers plus de liberté. Et je ne parle ni de laxisme ni de chaos. Je parle de la liberté de la grâce, celle du salut et du pardon de Dieu qui me permettent d’être, véritablement, moi-même. 

Le Christ nous libère, il ne nous enchaîne pas. Il nous donne la vie et la vie n’est pas contrainte. 

Et si je suis vraiment libre, alors la liberté d’autrui dont aussi être respectée. Je ne veux pas hésiter, bien sûr, à lui parler de la vie et de l’espérance qui est promise en Christ, mais je le ferai en respectant sa personne et sa liberté. 

Et je laisserai l’Esprit de Dieu agir. Car l’Esprit de Dieu est libre. Ou, comme le dit Jésus :

Jean 3.8 
L'Esprit, comme le vent, souffle où il veut ; tu entends le bruit qu'il fait, mais tu ne sais pas d'où il vient ni où il va. Voilà ce qui se passe pour toute personne qui naît de l'Esprit de Dieu.

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