Nous sommes entre Pâques et l’Ascension. Une période de 40 jours qui correspond au temps qui s’est écoulé, dans le Nouveau Testament, entre la résurrection de Jésus et son ascension. On ne sait pas grand-chose de ce qui s’est passé pendant cette période, sinon que Jésus est apparu plusieurs fois à ses disciples, et qu’il les a enseignés : « pendant quarante jours, Jésus leur apparut et leur parla du règne de Dieu. » (Actes 1.3)
On aimerait bien savoir ce que Jésus leur a dit… mais on n’a que très peu d’informations disponibles. L’évangile de Luc nous relate une rencontre de Jésus avec deux disciples, sur le chemin d’Emmaüs, et nous dit que « (Jésus) leur expliqua ce qui était dit à son sujet dans l'ensemble des Écritures, en commençant par les livres de Moïse et en continuant par tous les livres des Prophètes. » (Luc 24.27) On peut donc imaginer que ces explications des Ecritures faisaient partie de ce qu’il a enseigné à ses disciples pendant les 40 jours.
On peut considérer cette période comme un temps de formation pour les disciples, pour les préparer en vue de leur mission. Ils vont devoir fonder l’Eglise de Jésus-Christ, par leur témoignage. Ils le feront dès le jour de la Pentecôte, lorsque la puissance du Saint-Esprit descendra sur eux.
Mais la formation que Jésus a apporté à ses disciples pendant ces 40 jours n’était sans doute pas que théorique. Il a même pris le temps d’une formation personnalisée, au moins avec l’un des apôtres. C’est l’évangile de Jean qui nous relate cet épisode, au cours d’un dialogue étonnant de Jésus avec Pierre.
Jean 21.15-1915Après le repas, Jésus s'adressa à Simon Pierre : « Simon, fils de Jean, m'aimes-tu plus que ceux-ci ? » Il répondit : « Oui, Seigneur, tu sais que je t'aime. » Jésus lui dit : « Prends soin de mes agneaux. » 16Il lui demanda une deuxième fois : « Simon, fils de Jean, m'aimes-tu ? » – « Oui, Seigneur, répondit-il, tu sais que je t'aime. » Jésus lui dit : « Prends soin de mes moutons. » 17Il lui demanda une troisième fois : « Simon, fils de Jean, m'aimes-tu ? » Pierre fut attristé de ce que Jésus lui avait demandé pour la troisième fois : « M'aimes-tu ? » et il répondit : « Seigneur, tu sais toutes choses ; tu sais que je t'aime ! » Jésus ajouta : « Prends soin de mes moutons. 18Oui, je te le déclare, c'est la vérité : quand tu étais jeune, tu attachais toi-même ta ceinture et tu allais où tu voulais ; mais quand tu seras vieux, tu étendras les bras, un autre attachera ta ceinture et te mènera où tu ne voudras pas aller. » 19Par ces mots, Jésus indiquait de quelle façon Pierre allait mourir et servir la gloire de Dieu par cette mort. Puis Jésus lui dit : « Suis-moi ! »
Jésus prend l’initiative de l’entretien. Il pose une question à Pierre, qui peut paraître incongrue au premier abord : « Simon, fils de Jean, m'aimes-tu plus que ceux-ci ? »
Jésus doutait-il de l’amour de Pierre ? Et surtout, pourquoi demande-t-il s’il l’aime plus que ceux-ci, c’est-à-dire plus que les autres disciples ? Ce n’est pas du genre de Jésus de vouloir mettre ses disciples en compétition, il les a même plutôt exhortés à l’inverse, se faire serviteur, demeurer humble, ne pas chercher à être le premier…
Mais Pierre était un personnage pas comme les autres. Fougueux et impulsif, il parlait parfois un peu précipitamment, sans toujours mesurer la portée de ses paroles. Et quelques jours plus tôt, alors que Jésus annonçait à ses disciples qu’il allait être arrêté, condamné et crucifié, Pierre a répondu du tac au tac : « Même si tous les autres t'abandonnent, moi je ne t'abandonnerai jamais ! » (Matthieu 26.33)
Pierre ne pensait-il pas, à ce moment-là, qu’il était différent des autres ? Qu’il aimait Jésus plus que les autres disciples ? Il était persuadé, en tout cas, que même si tous les autres abandonnaient Jésus, lui ne l’abandonnerait jamais !
Mais on connaît la suite… et Jésus le savait très bien. Il l’a dit à Pierre. Et conformément à ce que Jésus lui a dit, Pierre a abandonné Jésus, et il l’a même renié, par trois fois.
Les quatre évangiles relatent cet épisode. Jean le fait d’une façon un peu plus sobre que les autres évangiles :
Jean 13.36-3836Simon Pierre lui demanda : « Seigneur, où vas-tu ? » Jésus lui répondit : « Là où je vais, tu ne peux pas me suivre maintenant, mais tu me suivras plus tard. » 37Pierre lui dit : « Seigneur, pourquoi ne puis-je pas te suivre maintenant ? Je donnerai ma vie pour toi ! » 38Jésus reprit : « Tu donneras ta vie pour moi ? Eh bien, je te le déclare, c'est la vérité : avant que le coq chante, tu m'auras renié trois fois. »
C’est intéressant de voir comment Jean relate cet épisode, et comment le dialogue de Jésus avec Pierre, après sa résurrection, fait écho aux paroles qu’il a adressées à Pierre avant son arrestation. A la fin de l’évangile de Jean, c’est comme si Jésus reprenait le cours de sa conversation avec Pierre. « Là où je vais, tu ne peux pas me suivre maintenant, mais tu me suivras plus tard. » Eh bien maintenant, Jésus révèle à Pierre la façon dont il va mourir. Oui, Pierre marchera bien sur les pas de Jésus, jusqu’au martyr. Il va aller là où Jésus est allé…
Mais auparavant, par trois fois, Jésus pose la même question à Pierre : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? » Trois fois. Comme pour entrer en écho avec les trois reniements de Pierre… Mais Jésus ne le fait pas pour remuer le couteau dans la plaie. Au contraire, il veut rétablir Pierre dans sa mission. Il veut effacer la honte de son reniement. Il veut lui donner l’occasion de tourner la page et de repartir à zéro, de répondre à son triple reniement par une triple déclaration d’amour. Et par trois fois, Jésus lui confie une mission : « Prends soin de mes agneaux. » Une mission pastorale, celle de prendre soin de l’Eglise qui est en train de naître.
Et remarquez que Jésus ne le fait probablement pas en privé. C’est à la fin du repas que Jésus s’adresse à Pierre, alors que tous les disciples sans doute réunis. L’occasion de rétablir Pierre aussi devant ses collègues. L’occasion sans doute aussi, de s’adresser indirectement à tous les disciples, car tous ont, comme Pierre, abandonné Jésus au moment de son arrestation…
C’est le moment, pour tout le monde, de tourner la page. C’est le moment de se remettre en marche, car il y a une mission à accomplir. D’ailleurs, la dernière chose que Jésus dit à Pierre est sans équivoque : « suis-moi ! »
Quelle leçon pouvons-nous tirer pour nous de ce récit ?
M’aimes-tu ?
J’aimerais d’abord retenir la fameuse question que Jésus pose, par trois fois, à Pierre. « M’aimes-tu ? »
Et si, finalement, c’était la seule question essentielle que nous devions entendre, aujourd’hui encore ? Et si Jésus nous demandait, à chacun ce matin : m’aimes-tu ? N’est-ce pas LA question à nous poser ? Et n’est-il pas important de l’entendre souvent, bien plus de trois fois ?
Qu’est-ce que le cœur de la vie chrétienne, sinon notre amour pour Dieu ? C’est là notre moteur, notre force, notre motivation profonde. C’est ce qui fait la différence entre une véritable vie de foi, sincère et authentique, et la vie d’un simple adepte d’une religion, dans la pratique de rites au risque de la superficialité.
La question que Jésus nous pose n’est pas : « es-tu un bon chrétien ? ». Il ne nous demande pas « est-ce que tu pries avec assez de ferveur ? », « est-ce que tu lis ta Bible tous les jours ? », « est-ce que tu as accompli de bonnes œuvres cette semaine ? »
Il nous demande, simplement : « m’aimes-tu ? »
C’est cet amour, sincère et authentique, pour le Christ qui nous conduira à développer notre vie de prière et de méditation, qui façonnera notre façon d’être et d’aimer notre prochain. Tout cela, non pas comme des rites à accomplir ou une discipline à laquelle se soumettre, mais comme une façon naturelle d’exprimer notre amour pour le Christ.
Entretenir et approfondir notre amour pour le Christ. Voilà ce que nous devons chercher en premier lieu en tant que chrétien !
On peut aimer le Seigneur… et chuter.
Si cet amour, sincère et authentique, est le moteur essentiel de notre vie chrétienne, il n’est pas pour autant la garantie d’une vie de foi sans accroc, sans échec. En réalité, on peut aimer le Seigneur, de tout son cœur, et malgré tout chuter.
Il n’y a aucune raison de mettre en doute la sincérité de Pierre et la réalité de son amour pour son maître. Autant à la fin de l’évangile, dans son dialogue avec Jésus, qu’au moment où Jésus annonce sa mort et lorsqu’il prétend qu’il est prêt à le suivre jusqu’à la mort. Pierre pensait ce qu’il disait, et il le disait parce qu’il aimait son maître.
On peut aimer le Seigneur, profondément, et chuter. C’est le lot de tous les croyants que de connaître l’échec. Le Seigneur le sait très bien. Et ce n’est pas cela qui l’empêche de nous aimer…
Il n’attend pas de nous la perfection, une vie de foi toujours triomphante et une fidélité à toute épreuve. Il ne nous demande pas l’impossible. Il attend notre amour. « M’aimes-tu ? » Et si Jésus nous pose cette question, c’est parce que lui, nous aime. De manière inconditionnelle et parfaite.
Soyons humbles et lucides. Accordons-nous le droit à l’erreur. Accordons-le aussi à notre frère ou notre sœur. Souvenons-nous que nous sommes toutes et tous, et cela tout au long de notre vie chrétienne, au bénéfice de la grâce de Dieu. De son amour…
Jésus nous donne l’occasion de nous relever
Et puisqu’il est question de grâce, soulignons enfin que le Seigneur ne veut pas nous laisser à terre ou dans une impasse. Il prend toujours l’initiative de venir nous chercher et nous donner l’occasion de nous relever. Comme il l’a fait avec Pierre. Quand Jésus demande à Pierre « m’aimes-tu ? », c’est aussi une main tendue de sa part.
La vie chrétienne est faite aussi de recommencements, de mains tendues de la grâce de Dieu que l’on saisit. Se relever, recommencer, renouveler son engagement… tout cela fait partie de la vie chrétienne normale. Être chrétien, c’est se mettre en marche à la suite du Christ. Mais la marche avec le Christ est parfois chaotique, ou du moins perturbée. Se mettre en marche, trébucher, se relever... Voilà à quoi ressemble bien souvent notre vie chrétienne. Et c’est normal. Et le Seigneur ne se lasse pas de nous tendre la main pour nous relever ! Sa grâce pour nous se renouvelle chaque matin. Saisissons sa main !
Avec Dieu, tous les recommencements sont possibles ! Toujours ! Sommes-nous prêts à faire la même chose avec notre prochain ? Sommes-nous prêts à faire grâce ? A tendre la main ? A vivre, finalement, la demande du Notre Père : « Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensé… »
Conclusion
Ce dialogue étonnant de Jésus avec Pierre, à la fin de l’évangile de Jean, est marqué par la grâce. C’est une main tendue de la part du Seigneur pour relever Pierre et le rétablir dans sa mission. C’est une preuve d’amour de Jésus pour son disciple… et l’occasion qu’il lui donne de tourner la page.
C’est la même grâce, et le même amour, que Jésus-Christ nous manifeste aujourd’hui. Si nous sommes à terre ou vacillant, il nous tend la main pour nous relever. Si nous sommes debout et vaillant, il nous soutient de son bras fort.
Et à chacun de nous il nous pose la seule question que nous devions entendre, et réentendre sans cesse : « m’aimes-tu ? »
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