Le récit des Rameaux, qui raconte l’entrée de Jésus à Jérusalem, ouvre la semaine sainte, celle qui conduit à Pâques. C’est un récit important, d’ailleurs il figure dans les quatre évangiles, ce n’est pas si courant que cela… Nous en lirons ce matin la version de l’évangile de Luc.
Luc 19.28-4028 Après avoir ainsi parlé, Jésus partit en avant sur le chemin qui montait à Jérusalem. 29 Lorsqu'il approcha de Bethfagé et de Béthanie, près de la colline appelée mont des Oliviers, il envoya deux disciples : 30 « Allez au village qui est en face, leur dit-il. Quand vous y serez arrivés, vous trouverez un petit âne attaché, sur lequel personne ne s'est jamais assis. Détachez-le et amenez-le ici. 31 Si quelqu'un vous demande : “Pourquoi le détachez-vous ?”, dites-lui : “Le Seigneur en a besoin.” »32 Les envoyés partirent et trouvèrent tout comme Jésus le leur avait dit. 33 Pendant qu'ils détachaient l'ânon, ses propriétaires leur dirent : « Pourquoi détachez-vous cet ânon ? » 34 Ils répondirent : « Le Seigneur en a besoin. » 35 Puis ils amenèrent l'ânon à Jésus ; ils jetèrent leurs manteaux sur l'animal et y firent monter Jésus. 36 À mesure qu'il avançait, les gens étendaient leurs manteaux sur le chemin. 37 Tandis qu'il approchait de Jérusalem, par le chemin qui descend du mont des Oliviers, toute la foule des disciples, pleine de joie, se mit à louer Dieu d'une voix forte pour tous les miracles qu'ils avaient vus. 38 Ils disaient : « Que Dieu bénisse le roi qui vient au nom du Seigneur ! Paix dans le ciel et gloire à Dieu au plus haut des cieux ! »39 Quelques pharisiens, qui se trouvaient dans la foule, dirent à Jésus : « Maître, fais taire tes disciples ! » 40 Jésus répondit : « Je vous le déclare, s'ils se taisent, les pierres crieront ! »
On l’a dit, le récit de l’entrée de Jésus à Jérusalem est présent dans les quatre évangiles. Si on compare les différentes versions, on se rend compte que le récit de Luc est très proche de celui de Matthieu, et plus encore de celui de Marc. Celui de Jean, comme souvent, est assez différent.
En y regardant encore de plus près, on constate deux originalités dans le récit de Luc, au tout début et à la toute fin du récit.
Au début du récit, il y a une petite phrase propre à Luc : « Après avoir ainsi parlé, Jésus partit en avant sur le chemin qui montait à Jérusalem. » (v.28)
Cette précision, absente des autres évangiles, souligne la détermination de Jésus. Il prend les devants, il sait où il va, et pourquoi il y va. Il sait que l’entrée à Jérusalem qu’il va accomplir revêt une signification particulière. Ce n’est pas la première fois que Jésus va entrer à Jérusalem, accompagné de ses disciples. Mais cette entrée est différente. Jésus sait que le moment est particulier. Il sait que son heure est venue et que le moment de sa mort est proche. Alors il part en avant, sur le chemin qui montait à Jérusalem. Et il entraîne ses disciples avec lui.
Il faut que cette entrée à Jérusalem soit différente des autres. Il faut marquer le coup. Et c’est la raison pour laquelle elle est préparée, on peut même dire qu’elle est mise en scène, pour frapper l’attention. La première partie du récit est consacrée aux préparatifs de cette entrée. Jésus envoie ses disciples dans le village voisin, pour y trouver un petit âne. Si Jésus veut entrer dans la ville sur le dos d’un petit âne, c’est en référence à un prophétie bien connue de Zacharie (d’ailleurs citée explicitement dans le récit de Matthieu) :
Zacharie 9.9Éclate de joie, Jérusalem ! Crie de bonheur, ville de Sion ! Regarde, ton roi vient à toi, juste et victorieux, humble et monté sur un âne, sur un ânon, le petit d'une ânesse.
C’est en tant que roi que Jésus veut entrer à Jérusalem. Le roi victorieux et humble annoncé par Zacharie. L’âne n’était pas une monture indigne d’un roi, mais c’était une monture en temps de paix. Un roi ne va pas à la guerre sur le dos d’un âne, il y va sur son cheval. En temps de paix c’est différent. Mais c’est ici un ânon, le petit d’une ânesse, sur lequel Jésus s’assoit. Et là se mesure l’humilité du roi.
Contrairement à la prophétie de Zacharie, ce n’est pas Jérusalem qui crie de joie à l’entrée de Jésus. Ce sont ses disciples. Luc le dit plus explicitement encore que les autres évangiles :
Luc 19.37-3837Tandis qu'il approchait de Jérusalem, par le chemin qui descend du mont des Oliviers, toute la foule des disciples, pleine de joie, se mit à louer Dieu d'une voix forte pour tous les miracles qu'ils avaient vus. 38Ils disaient : « Que Dieu bénisse le roi qui vient au nom du Seigneur ! Paix dans le ciel et gloire à Dieu au plus haut des cieux ! »
Il y a chez Luc un enthousiasme des disciples, pour tout ce qu’ils ont vu Jésus accomplir comme miracle. Et grisés par cet enthousiasme, ils entrent avec Jésus, à Jérusalem, en louant Dieu d’une voix forte et en proclamant qu’il est le roi qui vient au nom du Seigneur.
Mais les habitants de Jérusalem, eux, semblent rester muets. Ils n’interviennent pas dans le cortège. Sauf une catégorie bien spécifique qui va interpeller Jésus. Et c’est ici la deuxième spécificité de l’évangile de Luc, qui intègre à la fin de son récit un court dialogue entre Jésus et les Pharisiens, absent des autres évangiles :
Luc 19.39-4039 Quelques pharisiens, qui se trouvaient dans la foule, dirent à Jésus : « Maître, fais taire tes disciples ! » 40 Jésus répondit : « Je vous le déclare, s'ils se taisent, les pierres crieront ! »
L’entrée de Jésus à Jérusalem, escorté par la louange de ses disciples, dérange les Pharisiens : Fais-les taire ! Qu’est-ce qui les dérange ? Ce n’est pas seulement une question de décibels ! Ce que les Pharisiens contestaient, c’est ce que les disciples affirmaient de Jésus par leur proclamation.
En disant « Que Dieu bénisse le roi qui vient au nom du Seigneur ! », c’est comme si les disciples disaient ouvertement que Jésus est le Messie. C’est lui « le roi qui vient au nom du Seigneur ». Surtout lorsque ces paroles accompagnent une entrée de Jésus à Jérusalem mise en scène à la manière de la prophétie messianique de Zacharie ! C’est pour cela que les Pharisiens demandent à Jésus de faire taire ses disciples. Parce qu’ils considèrent que ce qu’ils disent, c’est une forme de blasphème. Et si Jésus les laisse faire, alors il est lui-même aussi coupable de blasphème.
Mais la réponse de Jésus est cinglante : « Je vous le déclare, s'ils se taisent, les pierres crieront ! » Non seulement Jésus ne fait pas taire ses disciples, mais il affirme aux Pharisiens que personne ne pourra faire taire leur cri. Ce qu’ils proclament doit être proclamé parce que c’est vrai. Et même si les disciples se taisent, les pierres crieront.
On peut même se demander s’il n’y a pas, derrière ces paroles de Jésus, l’annonce à demi-mot de la persécution à venir des chrétiens. Car on cherchera bien à faire taire les disciples en les persécutant… Les pierres qui crieront, ce seront peut-être bien celles de leur martyr, celles qu’on leur lancera pour les faire taire.
Rien ni personne ne pourra faire taire la Bonne Nouvelle proclamée, hier, aujourd’hui ou demain, par les disciples de Jésus-Christ ! Il est le Messie, le roi qui vient au nom du Seigneur !
S’ils se taisent, les pierres crieront !
Cette formule choc de Jésus, nous pouvons l’entendre de différentes façons pour nous aujourd’hui.
Ne pas nous taire… pour la Bonne Nouvelle
Il s’agit sans doute d’abord d’un appel, un appel à ne pas nous taire ! Mais pour dire quoi ? Il ne s’agit pas juste de faire du bruit… Il s’agit de ne pas se taire, mais pour la Bonne Nouvelle !
Nous sommes appelés à nous joindre au chœur des disciples à Jérusalem, pour partager la joie et l’espérance que les disciples criaient. C’est la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ, le Fils de Dieu devenu homme. Celui qui est venu accomplir le projet de Dieu. Le Roi venu apporter la paix. La paix avec Dieu. La paix pour tous les humains. La paix de la réconciliation et du pardon.
Si nous ne le proclamons pas, qui le fera ? Ne laissons pas les pierres crier… Une de responsabilités principales de l’Eglise, de tous les chrétiens, disciples de Jésus-Christ, demeure la proclamation de la Bonne Nouvelle. Et cela quel que soit le contexte, favorable ou non. Ça fait deux mille ans que ça dure, et personne n’a pu faire taire ce message.
Est-ce que nous y prenons notre part, collectivement et individuellement ?
Ne pas avoir peur de déranger… mais pour de bonnes raisons
Les paroles de Jésus, en réponse aux reproches des Pharisiens, nous appellent à ne pas nous taire… et même à ne pas avoir peur de déranger. Pour autant que ce soit pour de bonnes raisons, évidemment ! Parce qu’on peut aussi déranger pour de mauvaises raisons, et là il vaut mieux se taire.
Souvenons-nous que nous sommes au service d’une Bonne Nouvelle. Pas d’un message moralisateur, qui s’appuie sur la culpabilité ou la peur. Il y a eu, et il y a parfois encore, des façons d’annoncer l’Evangile qui jouent sur ce registre… mais je ne sais pas où se trouve alors la Bonne Nouvelle !
Il ne s’agit pas pour autant d’être forcément consensuel et de chercher à plaire à tout le monde… C’est de toute façon impossible. Ici, les Pharisiens ne sont pas contents… Peu de temps après, les marchands du temple ne le seront pas non plus, lorsque Jésus se mettra en colère en renversant leurs tables !
Et puis, évidemment, on se souvient que la séquence qui s’ouvre avec le récit des Rameaux conduira jusqu’au vendredi saint, à la condamnation injuste, le supplice et la mort de Jésus, crucifié. Oui, il dérangeait… Même s’il y aura aussi le dimanche de Pâques et la résurrection de Jésus, la victoire de la vie sur la mort, la victoire de la lumière sur les ténèbres.
La Bonne Nouvelle de Jésus-Christ est… une bonne nouvelle. Mais elle bouleverse aussi radicalement un certain nombre de choses, elle interpelle, elle nous fait sortir de notre confort, elle peut remettre en question nos certitudes… Alors elle peut aussi déranger. Mais pour de bonnes raisons !
Conclusion
En ce dimanche des Rameaux, nous voulons nous joindre à la foule des disciples de l’évangile, dans la joie. Oui, Jésus-Christ est le roi qui devait venir. Par lui le Royaume de Dieu s’est approché.
C’est un roi pacifique et humble, qui n’impose pas sa présence mais offre la réconciliation et la paix. Voilà la Bonne Nouvelle pour laquelle nous nous réjouissons, et que nous voulons partager et proclamer haut et fort.
« S’ils se taisent, les pierres crieront ! », dit Jésus. Ce matin, nous ne voulons pas nous taire ! Les pierres attendront…
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