L’épître de Paul à Philémon est le livre le plus court du Nouveau Testament. Il tient en général sur une page dans les Bibles imprimées. C’est une petite lettre, au ton très personnel, adressée par l’apôtre à un certain Philémon, un notable chrétien de la ville de Colosse. Il écrit à propos d’un certain Onésime, qui était un esclave de Philémon mais qui s’est enfuit de chez son maître, probablement après lui avoir dérobé de l’argent (Paul parle de remboursement).
Plus tard, Onésime a rencontré Paul en prison et il s’est converti. Désormais, il fait partie des collaborateurs de l’apôtre. Mais Paul connaît son histoire et il sait qu’il y a ce passif avec son maître. C’est pourquoi il le lui renvoie, avec une lettre adressée à Philémon.
On ne va pas tout lire et on va passer les premiers versets, qui contiennent les formules d’introduction et les salutations. A noter toutefois que Paul adresse sa lettre à Philémon, mais aussi à toute l’Eglise qui se réunissait dans sa maison. Preuve qu’au-delà du cas de Philémon et Onésime, cette petite lettre personnelle contient un enseignement que tous doivent entendre.
Lisons donc le cœur de la lettre, alors que l’apôtre Paul adresse sa demande à Philémon, à partir du verset 8 :
Philémon 1.8-218C'est pourquoi, même si, en union avec le Christ, j'ai toute liberté de t'ordonner ce que tu dois faire, 9je préfère t'adresser une demande au nom de l'amour. Tel que je suis, moi Paul, un homme âgé, et de plus maintenant gardé en prison à cause de Jésus Christ, 10je te demande une faveur pour Onésime. Il est devenu mon enfant en Jésus Christ ici, en prison. 11Autrefois, il t'a été inutile, mais maintenant il nous est utile, à toi et à moi.12Je te le renvoie, lui qui est comme une partie de moi-même. 13J'aurais bien aimé le garder auprès de moi, pendant que je suis en prison à cause de la bonne nouvelle, pour qu'il me rende service à ta place. 14Mais je n'ai rien voulu faire sans ton accord, afin que tu ne fasses pas le bien par obligation, mais de bon cœur.15Peut-être Onésime a-t-il été séparé de toi pendant quelque temps afin que tu le retrouves pour toujours. 16Car maintenant il n'est plus un simple esclave, mais il est beaucoup mieux qu'un esclave : il est un frère très cher ! Il m'est particulièrement cher, mais il doit l'être encore beaucoup plus pour toi, aussi bien dans sa condition humaine que comme frère chrétien.17Si donc tu me considères comme ton ami, reçois-le comme si c'était moi-même. 18S'il t'a causé du tort, ou s'il te doit quelque chose, mets cela sur mon compte. 19J'écris les mots qui suivent de ma propre main : Moi, Paul, je te le rembourserai. Je n'ai certes pas à te rappeler que toi, tu me dois ta propre vie. 20Oui, frère, je t'en prie, accorde-moi cette faveur pour l'amour du Seigneur : réconforte mon cœur, puisque nous sommes unis avec le Christ.21Je suis convaincu, au moment où je t'écris, que tu feras ce que je te demande ; je sais même que tu feras plus encore. 22En même temps, prépare-moi une chambre, car j'espère vous être rendu grâce à vos prières.
Vous aurez remarqué que Paul sait mettre les formes tout en faisant preuve de persuasion, pour arriver à ses fins. Même si on ne connaît pas la suite de l’histoire, on se doute quand même, ne serait-ce que parce que la lettre a été conservée et qu’elle nous est parvenue, qu’il a accédé à la demande de l’apôtre.
Quelle est donc la demande que l’apôtre Paul adresse à Philémon à propos d’Onésime ? Accueillir comme un frère celui qu’il a vu s’enfuir comme un esclave. Cette formule habile de l’apôtre implique beaucoup pour Philémon. L’accueillir comme un frère et non plus comme un esclave implique de lui pardonner pour ce qu’il a fait et de renoncer à le juger et le condamner. Son droit était absolu en tant que maître…
Plus encore, les paroles de Paul impliquent même, pour Philémon, d’affranchir Onésime, et de le laisser retourner libre auprès de Paul, pour continuer à travailler avec lui.
S’il le faut, Paul est prêt à payer de sa poche pour rembourser Philémon du tort qu’Onésime lui avait fait. En même temps, quand il termine en disant « Je suis convaincu, au moment où je t'écris, que tu feras ce que je te demande ; je sais même que tu feras plus encore. » on peut se dire qu’il s’attend probablement à ce que Philémon renonce même à ce remboursement.
Quelles leçons tirer de cette lettre singulière à Philémon ? C’est une illustration du changement qu’opère en nous l’Evangile, qui ne se traduit pas seulement par un changement intérieur mais aussi par de nouvelles relations.
Un changement radical
Dans son argumentation, Paul insiste sur un événement qui a tout changé depuis la fuite d’Onésime : sa conversion, par l’entremise du témoignage de l’apôtre. C’est ce qu’il veut dire par la formule du verset 10 : « Il est devenu mon enfant en Jésus Christ ici, en prison. »
Il joue alors sur le nom d’Onésime. Il faut savoir que son nom signifiait « utile ». Un nom sans doute assez courant pour un esclave… Au verset 11, Paul écrit : « Autrefois, il t'a été inutile, mais maintenant il nous est utile, à toi et à moi. » La véritable utilité d’Onésime, désormais, ce n’est plus d’être esclave mais d’être chrétien, au service du Seigneur.
Le chemin d’Onésime est celui d’une conversion. Et on peut même voir dans son histoire une illustration vivante ce que le salut en Jésus-Christ apporte :
- Le commencement d’une vie nouvelle : d’esclave en fuite il devient collaborateur de l’apôtre Paul.
- La découverte de sa véritable identité. Son nom, Onésime, prend toute sa signification : il est utile pour le Seigneur.
- L’entrée dans une famille spirituelle. D’esclave qu’il était, il devient frère…
L'exemple d'Onésime nous rappelle que la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ nous offre la chance de recommencer une vie nouvelle. C’est l’occasion d'un nouveau commencement, qui que nous soyons, quoi que nous ayons fait... Comme Onésime est devenu vraiment « utile », nous découvrons qui nous sommes vraiment en Jésus-Christ. Et nous entrons dans une famille nouvelle, celle des croyants, qui deviennent de véritables frères et sœurs.
Un changement qui prend du temps
Même si Paul sous-entend qu’il espère que Philémon affranchisse Onésime, au moment de la lettre, Onésime est toujours esclave et Philémon est toujours son maître. C’était la réalité sociale de l’époque. Il faut être conscient, aujourd’hui, que la société romaine reposait largement sur l’esclavage. On estime que plus d’un quart de la population était esclave !
Les esclaves d’alors faisaient partie de la maisonnée, dans laquelle d’ailleurs ils pouvaient être très bien traités, ils exerçaient de nombreuses professions mais ils n’avaient aucun doit individuel. Ils étaient la propriété de leur maître. Ils étaient considérés comme des biens, pas des personnes. Dans les premiers temps de l’Eglise, bon nombre de chrétiens étaient encore esclaves, et leur maître n’était pas forcément chrétien. C’est pour cela qu’on trouve dans plusieurs lettres de Paul des recommandations adressées aux esclaves et aux maîtres.
Il ne faut pas imaginer Onésime revenir auprès de Philémon les mains dans les poches, comme si de rien n’était. Il était sans doute conscient du tort qu’il avait fait à son maître et il ne devait pas en mener large. Sa démarche demandait du courage. Philémon demeurait légalement son maître et il avait droit de vie et de mort sur lui.
Il ne suffisait pas de devenir chrétien pour ne plus être esclave. Chrétien ou pas chrétien, Onésime est l'esclave de Philémon. Ce sont là les réalités sociales, humaines. Et ce n'est pas parce qu'on devient chrétien qu'on y est soustrait...
Le changement qu’apporte la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ demande du temps pour se concrétiser et porter du fruit. Rien n’est automatique, tout a besoin de temps. C’est évident au niveau de la société, c’est vrai aussi au niveau personnel.
Nous l'expérimentons tous : il ne suffit pas de se convertir et de devenir chrétien pour que tout soit réglé dans notre vie ! Et puis on continue de vivre dans ce monde, avec ses réalités humaines et sociales, ses imperfections, ses pesanteurs, ses épreuves… Le changement demande du temps. Il ne faut pas s’en étonner.
Un changement dès maintenant
Le changement doit pourtant être réel, et il ne peut pas attendre demain seulement. Le salut dont parle la Bible n’est pas simplement un ticket pour le paradis qui n’aurait que peu d’impact aujourd’hui. La vie éternelle n’est pas seulement la vie après la mort, c’est la vie avec Dieu dès aujourd’hui.
Et s’il y a un domaine où les choses doivent changer dès maintenant, c’est celui de nos relations. Et notamment au sein de l’Eglise, mais pas seulement. Le cas de Philémon et Onésime en est un exemple frappant, où il s’agit de passer de la relation maître/esclave à celle de frère/frère.
Le défi d’avoir des relations transformées est central pour le chrétien. C’est un défi majeur pour l’Eglise : si les relations dans l’Eglise ne sont pas différentes qu’ailleurs, comment prétendre que Jésus-Christ y est présent ? C’est le sens de fameuse formule d’exhortation de Jésus à ses disciples : « Si vous avez de l'amour les uns pour les autres, alors tous sauront que vous êtes mes disciples. » (Jean 13.35).
Nos relations doivent changer dès aujourd'hui, si nous appartenons à Jésus-Christ. Et cela prioritairement au sein de l’Eglise mais aussi plus largement. Nous sommes invités à accueillir l'autre de façon nouvelle, à lui donner une nouvelle chance, à vivre dans la grâce.
Est-ce que je suis prêt à entendre l’appel de Paul à Philémon comme un appel à vivre différemment mes relations aux autres, y compris ceux qui m’ont causé du tort ?
Être chrétien n’est pas seulement une affaire individuelle, dans ma relation à Dieu. C’est très bien de s’interroger sur la qualité de notre relation à Dieu. Mais ce n’est pas suffisant. Qu’en est-il de ma relation à mon prochain ? Ma relation avec mes frères et sœurs chrétiens ? Ma façon d’envisager la relation à l’autre est-elle marquée par la grâce ? Est-ce que je suis prêt à accueillir, à aimer, à pardonner ? Est-ce que je suis prêt à donner à mon frère, ma sœur, une seconde chance ou est-ce que je les enferme dans leurs actes passés ?
Conclusion
On l’avait bien dit, au-delà du cas personnel de Philémon et Onésime, cette petite lettre personnelle contient un enseignement que nous devons entendre. Il concerne le changement que nous promet la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ.
C’est un changement radical qui nous ouvre à une nouvelle vie, et qui rend possible tous les recommencements. C’est une formidable promesse. Mais ce changement demande du temps, il s’opère petit à petit, même si on ne doit pas sans cesse le remettre à plus tard.
En effet, la procrastination n'est pas dans l'esprit de l’Évangile… mais l'impatience non plus ! Demandons au Seigneur de nous donner non seulement la volonté de nous laisser transformer par lui, mais aussi la patience d'accepter que le changement prenne du temps. Chez nous comme chez les autres...
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