dimanche 21 août 2022

La porte étroite

 

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Les évangiles ne sont pas la transcription mot à mot de toutes les paroles de Jésus ni la description de tous ses faits et gestes. Chaque évangéliste a fait des choix pour évoquer tel ou tel épisode de la vie de Jésus, pour citer tel ou tel enseignement, et le faire de telle ou telle façon. C’est ce qui explique les différences entre les évangiles. 

Et puis il ne faut pas oublier que Jésus a eu un ministère itinérant, et qu’il annonçait la Bonne Nouvelle partout où il allait. Il a donc répété ses enseignements, utilisant à plusieurs reprises telle ou telle métaphore, racontant telle ou telle parabole. Et il le faisait sans doute avec des variantes, en fonction des circonstances. 

C’est pourquoi on peut trouver dans les évangiles une même métaphore mais avec des variantes qui donnent des nuances, voire des sens, différents. Ainsi en est-il de deux textes qui utilisent la métaphore de la porte étroite qui, à la première lecture, pourraient sembler dire la même chose… alors que ce n’est pas le cas. 

Matthieu 7.13-14

13Entrez par la porte étroite ! Car large est la porte, facile est le chemin qui mène à sa propre perte et nombreux sont ceux qui s'y engagent. 14Mais combien étroite est la porte et difficile le chemin qui mènent à la vie ; peu nombreux sont ceux qui les trouvent.

Luc 13.22-30

22Jésus traversait les villes et les villages et enseignait en faisant route vers Jérusalem. 23Quelqu'un lui demanda : « Seigneur, n'y a-t-il que peu de gens qui seront sauvés ? » Jésus répondit : 24« Faites tous vos efforts pour entrer par la porte étroite ; car, je vous l'affirme, beaucoup essayeront d'entrer et ne le pourront pas.

25Quand le maître de maison se sera levé et aura fermé la porte à clé, vous vous trouverez dehors, vous vous mettrez à frapper à la porte et à dire : “Maître, ouvre-nous !” Il vous répondra : “Je ne sais pas d'où vous êtes !” 26Alors, vous lui direz : “Nous avons mangé et bu avec toi, tu as enseigné dans les rues de nos villes.” 27Il vous dira de nouveau : “Je ne sais pas d'où vous êtes. Écartez-vous de moi, vous tous qui commettez le mal !” 28C'est là que vous pleurerez et que vous grincerez des dents, quand vous verrez Abraham, Isaac, Jacob et tous les prophètes dans le règne de Dieu et que vous, vous serez jetés dehors ! 29Des gens viendront de l'est et de l'ouest, du nord et du sud et prendront place à table dans le règne de Dieu. 30Et alors, certains de ceux qui sont maintenant les derniers seront les premiers et d'autres qui sont maintenant les premiers seront les derniers. »

Quand on compare les deux textes, il y a plusieurs différences significatives :

  • On se rend compte tout de suite que le texte de Luc est bien plus long que celui de Matthieu. 
  • Ensuite, les circonstances ne sont pas les mêmes. Chez Matthieu, la métaphore fait partie des discours de Jésus rassemblés dans ce qu’on appelle le Sermon sur la Montagne, une compilation des principaux enseignements de Jésus. Chez Luc, Jésus répond à une question qu’on lui pose. 
  • Et puis l’image n’est pas tout à fait la même. Chez Matthieu, plutôt qu’une porte, c’est un portail qui ouvre sur un chemin. Chez Luc, c’est une porte qui ouvre sur une maison. D’ailleurs, en grec, ce ne sont pas les mêmes mots qui sont utilisés, même si les deux peuvent être traduits par porte ou portail en français.
  • Chez Matthieu, il s’agit de faire le choix entre deux portails. Chez Luc, il s’agit d’entrer ou non par la porte pour se retrouver ou non dans la maison. 

Ce qui est en commun dans les deux textes, c’est l’étroitesse de la porte ou du portail, et la difficulté d’y entrer. Mais le message est différent :

Chez Matthieu, Jésus s’adresse à tout le monde pour nous inviter à faire le bon choix, celui de la porte et du chemin qui mènent à la vie. Mais il avertit que cette porte et ce chemin sont plus difficiles et que, naturellement, beaucoup préfèrent le chemin facile, même s’il mène à la perdition. 

Chez Luc, c’est un avertissement à ceux qui veulent entrer par la porte étroite et qui croient à tort qu’elle leur sera ouverte. Dans l’histoire racontée par Jésus, le maître de la maison refuse d’ouvrir à ceux qui veulent entrer. Et Luc ajoute même que ceux qui resteront dehors se lamenteront de voir des gens venant des quatre coins de la terre s’asseoir à table avec Abraham, Isaac et Jacob, alors qu’eux n’y seront pas.

Pour bien comprendre qui sont ces gens qui veulent entrer et ne peuvent pas chez Luc, il faut revenir à la question qui est posée à Jésus : « Seigneur, n'y a-t-il que peu de gens qui seront sauvés ? » La formulation peut surprendre, il y a des sous-entendus dans cette question. Ce n’est pas vraiment une question ouverte : « qui pourra être sauvé ? » voire « combien seront sauvés ? » Celui qui pose la question veut sans doute une confirmation de ce qu’il croit déjà. Probablement qu’il s’estime déjà, lui, dans le bon camp, avec ceux qui seront sauvés. Peut-être qu’il se considère comme un privilégié voire une élite… Et Jésus va lui répondre sévèrement. Il s’adresse directement à lui et à tous ceux qui sont comme lui : « Faites tous vos efforts pour entrer par la porte étroite ; car, je vous l'affirme, beaucoup essayeront d'entrer et ne le pourront pas. ». Et il poursuit : « vous vous trouverez dehors, vous vous mettrez à frapper à la porte… », et un peu plus loin : « vous pleurerez et vous grincerez des dents, quand vous verrez Abraham, Isaac, Jacob et tous les prophètes dans le règne de Dieu et que vous, vous serez jetés dehors ! »

Autrement dit, chez Luc, Jésus va refroidir les ardeurs de ceux qui se croient membres d’une élite privilégiée en leur disant, et c’est sa conclusion, avec une formule qu’il a sans doute souvent utilisée au cours de son ministère : « certains de ceux qui sont maintenant les derniers seront les premiers et d'autres qui sont maintenant les premiers seront les derniers. »


Une promesse pour ceux qui peinent

On peut lire la métaphore de Jésus chez Matthieu comme un avertissement, une invitation solennelle à choisir le bon portail et le bon chemin. Et c’est vrai que par cette image, Jésus nous invite à mesurer nos choix de vie et leurs conséquences. 

Mais on peut aussi entendre cette parole comme une promesse réconfortante. Déjà parce qu’il y a bien un chemin qui mène à la vie, même s’il est difficile. Et on sait bien, en tant que croyant, que la vie de disciple de Jésus-Christ n’est pas toujours une promenade de santé facile et légère ! Mais le fait que Jésus l’ait dit doit nous réconforter. 

Si vous êtes troublés par le fait que votre vie chrétienne n’est pas paisible, qu’elle est parcourue d’épreuves, de difficultés que vous peinez à surmonter, souvenez-vous de ce que Jésus a dit : le chemin qui mène à la vie est difficile et le portail qui y conduit est étroit. C’est normal… 

Souvenez-vous en aussi quand votre foi vacille, quand les doutes vous assaillent, quand votre vie chrétienne est marquée par la frustration, le sentiment d’inachevé, voire l’échec… Le chemin qui mène à la vie est difficile. 

Mais nous ne sommes pas seuls sur ce chemin. Il y a nos frères et sœurs croyants, bien-sûr. Mais il y a surtout le Christ lui-même qui nous y accompagne et qui nous assure de son secours. Pleinement conscient que le chemin est fatiguant, il nous dit :

Matthieu 11.28-29

28 Venez à moi vous tous qui êtes fatigués de porter un lourd fardeau et je vous donnerai le repos. 29 Prenez sur vous mon joug et laissez-moi vous instruire, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos pour tout votre être. 


Un avertissement pour les autres

Evidemment, on ne peut pas nier que la métaphore de la porte étroite contient aussi un avertissement. C’est particulièrement vrai dans la version de l’évangile de Luc. Mais l’avertissement concerne en premier lieu ceux qui se croient hors d’atteinte, pas ceux qui peinent. Elle concerne ceux qui sont trop sûrs d’eux, qui sont persuadés d’être les premiers… et qui seront les derniers ! 

Dans les évangiles, les paroles les plus sévères de la part Jésus ne sont pas contre les pécheurs, les gens de mauvaise vie à la morale douteuse, ceux qu’on désignait comme des infréquentables, elles sont contre les chefs religieux de son temps ! Ça devrait nous interpeller, nous autres croyants ! 

Les paroles les plus dures de Jésus étaient adressées à ceux qui s’estimaient purs et meilleurs que les autres. Comme ce Pharisien de la parabole racontée par Jésus en Luc 18 et qui priait : « Mon Dieu, je te remercie de ce que je ne suis pas comme tous les autres, qui sont voleurs, mauvais et adultères… » (Luc 18.11)

Dès le moment où on se compare aux autres, croyants ou non, et où on se permet de les juger, alors on se place au-dessus d’eux. On se considère supérieur, on se croit meilleurs, parce qu’on n’agit pas comme eux, parce que nous, on a compris, on a la foi, on est sauvé ! Attention ! C’est alors qu’on risque de se retrouver devant la porte fermée : les premiers (ou ceux qui croient l’être) seront les derniers et les derniers seront les premiers… 

Dès le moment où on estime avoir tout compris, ou presque, qu’on a une théologie solide, qu’on a lu toute la Bible, qu’on a une certaine expérience de la vie chrétienne, qu’on a une place à responsabilité dans l’Eglise et qu’on considère, plus ou moins consciemment, que ça nous met à l’abri, hors de danger, intouchable ou presque… Attention ! C’est alors qu’on risque de se retrouver devant la porte fermée : les premiers (ou ceux qui croient l’être) seront les derniers et les derniers seront les premiers…

Parce qu’on oublie alors que celui qui veut entrer dans le Royaume de Dieu doit être comme un petit enfant et que le modèle du citoyen du Royaume de Dieu, c’est le serviteur. Malheureusement trop souvent, on risque de se conduire non en serviteur mais en maître, en donneur de leçons ou en juge de notre prochain. 

Il y a là un avertissement que nous devons entendre ! 


Conclusion

La métaphore de la porte étroite, chez Matthieu comme chez Luc, bien qu’utilisée différemment, souligne les difficultés de la vie chrétienne. 

Chez Matthieu, Jésus nous invite à mesurer nos choix de vie et leurs conséquences. Il ne nous vend pas une vie chrétienne comme une sinécure, il avertit qu’elle est un chemin difficile. Mais l’important est bien que le chemin conduise à la vie ! C’est la Bonne Nouvelle, d’autant qu’il nous y accompagne ! 

Chez Luc, Jésus nous invite à l’humilité, et à nous garder de tout élitisme et de tout triomphalisme. Nous sommes appelés à être des serviteurs qui aiment et non des maîtres qui jugent. 

La porte est étroite… mais il vaut la peine de se faire tout petit pour l’emprunter : elle ouvre sur le chemin de la vie et sur le festin du Royaume de Dieu !


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