dimanche 5 février 2023

Le silence n'est jamais la solution

 

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Ce matin, j’aimerais aborder avec vous un sujet grave et difficile. C’est un sujet longtemps resté tabou, et qui l’est encore aujourd’hui souvent dans les Eglises… même si, heureusement, la parole est aujourd’hui de plus en plus libérée. 

Le week-end dernier, j’ai participé à l’assemblée générale de la Fédération Protestante de France. Au cours de cette AG a été présenté un document sur « Les violences sexuelles et spirituelles dans le Protestantisme ». Ce document est le fruit du travail de la commission éthique et société de la FPF, et l’AG a décidé, à l’unanimité, de l’adopter et de mettre en œuvre toutes les recommandations qui y sont proposées. 

Il y a quelques mois, le Conseil National des Evangéliques de France a aussi mené un travail sur les violences sexuelles et a mis en place une plateforme d’écoute à destination des Eglises. 

Récemment, un ouvrage est paru intitulé « La violence conjugale dans les églises évangéliques en France ». Et l’enquête révèle que la proportion de femmes subissant des violences conjugales, qu’elles soient physiques ou psychologiques, est trois fois plus importante dans les Eglises protestantes évangéliques que dans l’ensemble de la population ! Elle discerne plusieurs facteurs aggravants dans les Eglises évangéliques expliquant ce chiffre, comme l’idéalisation du mariage, une culture de soumission de la femme et de la domination du mari, ou l’injonction au pardon…  

Un exemple récent : il y a quelques jours à peine, un pasteur protestant évangélique en Alsace a été condamné à 12 mois de prison dont 6 fermes pour violences conjugales, ayant frappé sa femme à coups de poings et à coups de pied, devant leurs enfants. 

Bref, on ne peut plus dire : « ça n’arrive pas chez nous ! » Pas en France. Pas dans nos Eglises ! Comment aurions-nous pu penser que nous autres, Eglises protestantes évangéliques, n’étions pas concernées par ce fléau ? 

Pour aborder cette question délicate, je vous propose de lire un des textes les plus révoltants de la Bible, une histoire insupportable qui pourtant est dans la Bible. Un récit qui entre en écho de manière frappante avec la question qui nous intéresse.

2 Samuel 13.1-22
1 Absalom, fils de David, avait une sœur ravissante, qui s'appelait Tamar. Amnon, un autre fils de David, en tomba amoureux. 2Amnon était si tourmenté par son amour pour sa demi-sœur Tamar qu'il en devint malade. En effet, il lui semblait impossible de l'approcher, car elle était encore vierge. 3Mais il avait un ami très avisé, Yonadab, fils de Chamma et neveu de David. 4Yonadab lui demanda : « Prince, pourquoi donc es-tu si déprimé chaque matin ? Ne veux-tu pas me le dire ? » – « C'est que je suis amoureux de Tamar, la sœur de mon demi-frère Absalom », répondit Amnon. 5« Eh bien, suggéra Yonadab, couche-toi sur ton lit et fais semblant d'être malade. Lorsque ton père viendra te rendre visite, tu lui diras : “Permets que ma sœur Tamar vienne me faire à manger. Elle préparera la nourriture devant moi, sous mes yeux, elle me la présentera elle-même et j'en mangerai.” »
6Amnon se coucha et fit semblant d'être malade. Le roi vint lui rendre visite et Amnon lui dit : « Permets que ma sœur Tamar vienne confectionner devant moi deux petits gâteaux ; elle me les servira elle-même et je les mangerai. » 7David fit dire à Tamar, chez elle : « Va chez ton frère Amnon et prépare-lui à manger. » 8Tamar se rendit auprès d'Amnon et le trouva au lit. Elle prépara de la pâte, la pétrit, confectionna des gâteaux sous ses yeux, et les fit cuire. 9Prenant ensuite la poêle, elle les disposa pour qu'il mange, mais il refusa. Il ordonna de faire sortir tout le monde, et tous obéirent. 10Il dit alors à Tamar : « Apporte-moi ces gâteaux jusqu'à mon lit ; c'est là que tu me les serviras toi-même et que je les mangerai. » Tamar prit les gâteaux qu'elle avait faits et les apporta jusqu'au lit d'Amnon. 11Au moment où elle les lui présenta pour qu'il les mange, il la saisit en lui disant : « Viens au lit avec moi, Tamar ! » – 12« Non, Amnon ! s'écria-t-elle. Ne me fais pas violence ! On n'agit pas ainsi en Israël. Ne commets pas cet acte infâme ! 13Où irais-je ensuite traîner ma honte ? Et toi, tu passeras pour un ignoble individu en Israël. Voyons, parles-en plutôt au roi, il ne refusera pas de me donner à toi. » 14Amnon ne voulut rien entendre. Étant plus fort qu'elle, il la maîtrisa et la viola.  
15Là-dessus, il se mit à la haïr profondément. Il la détesta avec plus de passion qu'il l'avait aimée précédemment. Il lui ordonna : « Va-t'en ! » – 16« Non ! cria-t-elle. Me renvoyer ainsi serait un crime encore plus grand que celui que tu viens de commettre ! » Mais Amnon ne voulut de nouveau rien entendre. 17Il appela son jeune serviteur et il lui dit : « Expulse cette fille de chez moi. Verrouille bien la porte derrière elle ! » 18Le serviteur l'expulsa et il verrouilla la porte. Tamar portait une tunique princière, comme en portaient habituellement les princesses quand elles étaient vierges. 19Elle répandit des cendres sur sa tête et elle déchira sa belle tunique. Elle mit sa main sur son visage et elle s'en alla en poussant des cris. 20Son frère Absalom lui demanda : « Est-ce qu'Amnon t'a fait violence, petite sœur ? N'en parle pas, car c'est ton frère. Et n'y attache pas trop d'importance ! » Dès lors, Tamar demeura chez son frère Absalom, comme une femme abandonnée. 21Le roi David fut très irrité quand il apprit ce qui s'était passé ; pourtant il ne reprocha rien à Amnon, car c'était son fils aîné et il l'aimait beaucoup. 22Quant à Absalom, il n'adressa plus du tout la parole à Amnon, tellement il le haïssait d'avoir violé sa sœur Tamar.

Pour comprendre en quoi ce récit terrible reste, malheureusement, brûlant d’actualité, arrêtons-nous sur les différents protagonistes. 

Il y a d’abord Amnon. Il a toutes les caractéristiques d’un prédateur sexuel. Conseillé par son ami Yonadab, coupable de complicité de viol, Amnon se montre manipulateur et sournois. Il profite de sa proximité avec sa demi-sœur pour avancer caché, jusqu’au moment où il bondit sur sa proie. On sait qu’aujourd’hui encore, la plupart des violences sexuelles sont commises par quelqu’un de la famille ou de l’entourage proche de la victime… 

Sourd au refus explicite et aux cris de Tamar, Amnon obtient ce qu’il veut par la violence. Quoi qu’il en dise, il n’y a pas d’amour chez Amnon ! D’ailleurs, une fois le viol commis, il ne s’intéresse plus à Tamar. Il se met même à la détester et l’expulse de chez lui. Il n’a ni empathie pour sa victime ni remords pour son acte. Et il ajoute à son viol une humiliation en exposant Tamar à la honte. 

Et que dire des autres protagonistes de l’histoire ? On n’a pas besoin de revenir sur la complicité coupable de Yonadab. Mais il y a Absalom, le frère de Tamar. Certes, il se renseigne auprès d’elle pour savoir ce qui s’est passé et il l’accueille chez lui. On a l’impression qu’il se soucie de sa sœur… Le problème, c’est qu’il lui demande de se taire, de ne pas faire de vague… « N'en parle pas, car c'est ton frère. Et n'y attache pas trop d'importance ! » (v.20) Il faut préserver l’honneur de la famille, il vaut mieux que ça ne se sache pas… 

Les mêmes injonctions au silence se répètent, dans la famille… ou dans l’Eglise. Dans l’Eglise, les arguments pour le silence sont plus « spirituels » que dans la famille. Plusieurs témoignages en parlent : on remet en cause la parole de la victime, ou on minimise la gravité de la violence subie, ou on dit simplement à la victime de ne rien dire et de pardonner. « Il faut que tu pardonnes ! » Voilà une façon très spirituelle, en apparence seulement, d’inciter la victime à se taire ! C’est une forme d’injonction au silence. 

Et qu’en est-il de David, le père de Tamar et d’Amnon ? Le texte nous dit qu’il fut très fâché quand il apprit ce qui s’est passé. Et qu’a-t-il fait alors ? Rien… « car c'était son fils aîné et il l'aimait beaucoup. » (v.21)

Lui aussi préserve la famille, il protège son fils, il ne prend pas en compte la souffrance de sa fille… De plus, peut-être devait-il aussi gérer sa honte. Il faut se rappeler qu’il s’est rendu lui-même coupable d’adultère par le passé, et qu’il s’était arrangé pour que le mari disparaisse.

Toujours est-il que Tamar, elle, est oubliée dans sa souffrance. En plus d’une blessure profonde, elle porte sur les épaules les injonctions de ses proches au silence, et la honte qu’on fait reposer sur elle. Réduite au silence et à l’humiliation, elle est niée, elle disparait, enfermée dans la maison de son frère Absalom. D’ailleurs, on n’entendra plus jamais parler d’elle dans la Bible ! 

Le silence imposé par Absalom et l’inaction de David vont aussi avoir d’autres conséquences dramatiques. La colère d’Absalom ne s’apaisera pas et deux ans plus tard, il va organiser un complot et faire tuer Amnon, préférant la vengeance à la justice. C’est peut-être aussi après cet épisode que quelque chose s’est cassé dans la relation entre David et Absalom, à cause de l’inaction de son père. Et plus tard, Absalom essaiera de ravir le trône à son père… 

Le silence et l’inaction, en plus de nier la souffrance de la victime, produit sur le long terme d’autres effets néfastes. 


Le silence n’est jamais la solution

Je ne sais pas comment vous recevez ce récit, comment il entre peut-être en écho avec certaines de vos expériences douloureuses. Peut-être vous identifiez-vous à Tamar, la victime, ayant subi ou subissant vous-mêmes des violences, de quelque nature que ce soit. Mais peut-être que vous êtes interpellés plutôt par Amnon, Absalom ou David, parce que vous vous sentez coupable ou complice d’une violence commise, sans forcément que les choses soient allées aussi loin que dans ce récit. 

Quelles que soient les circonstances, et quelle que soit votre expérience, le silence n’est pas la solution !

En tout cas, ce récit est résolument du côté de la victime, que les protagonistes voulaient pourtant réduire au silence. D’abord par le fait que son histoire est racontée dans la Bible : Tamar est mise en lumière alors que tout le monde voulait la cacher. 

Il n’y a, certes, pas de commentaire explicite dans le texte qui condamne Amnon et les autres. Mais les faits parlent d’eux-mêmes ! Et surtout, il y a les paroles de Tamar qui sont on ne peut plus claires : « Non, Amnon ! s'écria-t-elle. Ne me fais pas violence ! On n'agit pas ainsi en Israël. Ne commets pas cet acte infâme ! Où irais-je ensuite traîner ma honte ? Et toi, tu passeras pour un ignoble individu en Israël. » (v.12-13)

C’est la seule fois, dans tout le récit, où Tamar parle. C’est ce qu’elle dit qui est important, c’est elle qui dit la vérité et la justice, et pourtant sa parole n’est pas prise en compte, ni par son agresseur, ni par ceux qui, ensuite, entendent son témoignage. 

Le récit valorise la parole de la victime. La présence d’un tel texte dans la Bible dit implicitement que Dieu, lui, connaît tout de notre vie. A lui, on ne peut rien dissimuler. Il connaît les coupables et il connaît les victimes. Il prend en considération nos cris de douleur, y compris ceux qui restent silencieux. Notre parole compte pour lui. 

La bonne nouvelle, c’est que la Bible laisse de la place à un tel récit qui peut permettre la libération de la parole. C’est une bonne nouvelle pour celles et ceux qui ont été ou sont victimes de violence, quelle qu’elle soit, et qui n’ont jamais pu en parler. Parlez-en ! Trouvez quelqu’un de confiance, ou un professionnel, et parlez-en !

Il faut que l’Eglise soit un lieu de confiance où la parole peut être libérée. Il faut que nous sachions recevoir ces paroles, même si elles sont difficiles à entendre. La parole des victimes compte pour le Seigneur, il faut qu’elle compte pour nous !


Conclusion

Si le récit du viol de Tamar est dans la Bible, c’est pour qu’il soit, aujourd’hui encore, un cri d’alerte et une invitation à libérer la parole. 

Si vous êtes concernés par ces questions de violence conjugale, physique ou psychologique, que vous soyez victime, coupable ou complice, souvenez-vous que le silence n’est jamais la solution. Parlez-en ! Demandez à Dieu de vous donner la force de le faire. 

Et si vous n’êtes pas concerné par ces questions de violence, quelle qu’elle soit, priez pour celles et ceux qui sont concernés. Il y en a forcément autour de vous, sans peut-être que vous le sachiez. Priez si vous ne le savez pas, et écoutez et agissez si on vous le confie. 

Il y a une bonne nouvelle à entendre ce matin : la Bible laisse de la place à un tel récit, pour permettre la libération de la parole ! Le silence n'est jamais la solution... 


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