dimanche 19 février 2023

Tu aimeras ton prochain (qui est) comme toi-même !

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Un jour, un chef religieux a posé une question piège à Jésus : Quel est le plus grand commandement ? 

C’était une question piège parce que la Bible, dans sa première partie qu’on appelle le Pentateuque (que les Juifs désignent par le terme Torah, la Loi), contient de nombreux commandements. Aujourd’hui, dans la tradition Juive, on en dénombre 613. Alors lequel désigner comme le plus grand, sans dénigrer les autres ? Voilà le piège !

Matthieu 22.37-38
37 Jésus lui répondit : “Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de tout ton être et de toute ta pensée.” 38 C'est là le commandement le plus grand et le plus important. 

Ce début de réponse de la part de Jésus est une évidence. Le commandement qu’il cite se trouve en Deutéronome 6.5 et il fait partie du Shema Israël, ce texte biblique récité par tout croyant Juif deux fois par jour, le matin et le soir. 

Là où Jésus peut surprendre, c’est dans la suite de sa réponse, lorsqu’il ajoute un deuxième commandement :

Matthieu 22.39-40
39 Et voici le second commandement, qui est d'une importance semblable : “Tu aimeras ton prochain comme toi-même.” 40 Toute la loi de Moïse et tout l'enseignement des prophètes dépendent de ces deux commandements. »

Pour Jésus, ce deuxième commandement est d’une importance semblable au premier. L’un ne peut aller sans l’autre. Mais le choix de ce commandement, s’il paraît aujourd’hui évident pour les chrétiens, ne l’était pas forcément à l’époque. C’était, en effet, un commandement bien moins connu que le premier. Jésus va le chercher dans le livre du Lévitique, en plein milieu du chapitre 19, qui contient toute une série de prescriptions et de règles très variées. 

Il serait un peu long de lire tout le chapitre mais il y est question, en vrac, de plusieurs règles sociales (ne pas voler, tromper ou exploiter les autres, être solidaire des plus pauvres…), religieuses (interdit de l’idolâtrie, sur la façon de manger les viandes sacrifiées…) et même des prescriptions agricoles (sur la façon d’accoupler les bêtes ou de récolter les fruits des arbres fruitiers) ou corporelles (sur la façon de couper ses cheveux ou de tailler sa barbe, ne pas se faire d’incisions sur le corps…). Ça brasse large ! 

Et au milieu de toutes ces prescriptions, on trouve le commandement cité par Jésus : 

Lévitique 19.17-18
17 N'aie aucune pensée de haine contre un autre Israélite, mais n'hésite pas à le réprimander, afin de ne pas te charger d'un péché à son égard. 18 Ne te venge pas et ne garde pas de rancune contre les membres de ton peuple. Chacun de vous aimera son prochain comme lui-même. Je suis le Seigneur.

Les derniers mots, « Je suis le Seigneur », résonnent comme un refrain tout au long du chapitre. La formule y apparaît 15 fois et fait écho aux premiers versets du chapitre : 

Lévitique 19.1-2
1 Le Seigneur dit à Moïse : 2 « Communique ceci à toute la communauté d'Israël :
Soyez saints, car je suis saint, moi, le Seigneur votre Dieu ! »

Qu’est-ce que nous apporte la prise en compte du contexte dans lequel est situé le commandement cité par Jésus pour sa compréhension ? 


Au cœur de notre quotidien

Le fait que ce commandement soit un peu « perdu » au milieu de considérations de tous ordres est significatif. C’est au cœur du quotidien qu’il s’agit de le vivre et le mettre en pratique. Les implications de ce commandement général d’aimer son prochain sont multiples et concernent, finalement, à peu près toutes les sphères de notre vie. 

Il y a des circonstances où c’est évident : quand on vient en aide à quelqu’un, quand on prend soin de lui, qu’on l’écoute ou l’encourage… Mais ne devrait-on pas, finalement, considérer toute notre vie comme une occasion d’aimer notre prochain ? Non seulement par nos engagements au service des autres mais aussi dans la façon d’envisager notre travail, notre rapport aux autres, notre participation à la société dans laquelle nous vivons… 

Aimer son prochain, c’est d’abord une façon de voir et d’accueillir l’autre, une façon d’être en face ou à côté de lui. Aimer son prochain, c’est aussi d’abord le respect, l’accueil, l’ouverture à l’autre. Le contraire des réflexes de repli, qu’ils soient identitaires, communautaristes ou sectaires. 


Ni vengeance ni rancune

Si on resserre le contexte du commandement cité par Jésus, on se rend compte qu’il est comme une conclusion de la section constituée des versets 17-18.  

Littéralement, au verset 17 : « Tu ne détesteras pas ton frère dans ton cœur ». Et ensuite : « avertir tu avertiras ton compatriote… » C’est une formule hébraïque utilisée pour accentuer la force du verbe. La NFC traduit « n’hésite pas à le réprimander », on pourrait dire aussi : « il faudra que tu l’avertisses ». 

Ne pas nourrir de haine, de jalousie ou de ressentiment envers son prochain, ça ne signifie pas s’en désintéresser ou s’en désolidariser. S’il le faut, il ne faut pas hésiter à le reprendre ou l’avertir. Ça éclaire utilement la notion de l’amour du prochain. Il ne s’agit pas seulement de refuser de le détester mais de l’aimer. Ce qui ne signifie pas qu’on justifie et qu’on approuve tout ce qu’il fait. Aimer c’est aussi avertir et mettre en garde quand il le faut. 

Le verset 18 évoque la situation où notre prochain nous a causé du tort. « Ne te venge pas et ne garde pas rancune. » Même si le pardon peut être sous-entendu dans cette formule, ce n’est pas pour autant une injonction au pardon. Il y a d’autres éléments nécessaires pour qu’une démarche de pardon soit possible, sans compter le facteur temps. En revanche, il y a ici un appel à refuser de se venger, de se faire justice soi-même, d’entrer dans une surenchère. Il y a aussi un appel à ne pas laisser la rancune prendre racine en nous, justement parce qu’elle pousse au ressentiment voire à la vengeance.  

Si pardonner est sans doute une des formes ultimes de l’amour, ça demande du temps et on ne peut jamais l’exiger. Mais refuser la vengeance et ne pas laisser la rancune prendre racine en nous est bien une double discipline à mettre en œuvre par tous. C’est une façon d’aimer notre prochain car notre prochain aussi, parfois, nous cause du tort voire nous fait du mal. Comme Jésus le dira bien dans les Evangiles : « Si vous n’aimez que ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous ? » (Matthieu 5.46) 


Comme toi-même… 

Comment comprendre la formule « comme toi-même » ? On entend parfois cette formule comme un appel à aimer notre prochain comme on s’aime soi-même. Et on dit que pour aimer son prochain il faut aussi voire d’abord s’aimer soi-même... 

Mais est-ce légitime de considérer l’amour de soi comme fondement pour l’amour du prochain ? Je n’en suis pas convaincu du tout ! Ça me semble être un fondement bien fragile… 

C’est là que le contexte peut encore nous aider car un peu plus loin, au verset 34 du même chapitre, on retrouve la formule « tu l’aimeras comme toi-même ». 

Lévitique 19.33-34
33 Quand un immigré viendra s'installer dans ton pays, ne l'exploitez pas ; 34 au contraire, traitez-le comme s'il était un membre de votre peuple : tu l'aimeras comme toi-même. Rappelez-vous que vous avez aussi été immigrés en Égypte. Je suis le Seigneur votre Dieu.

Ici, ce n’est pas le prochain en général qui est concerné par la formule mais un prochain particulier, à savoir l’immigré : « Traitez-le comme s'il était un membre de votre peuple : tu l'aimeras comme toi-même. » et le texte ajoute : « Rappelez-vous que vous avez aussi été immigrés en Égypte. »

En réalité, ici, le texte dit aux Israélites que les immigrés sont comme eux, leur égal. Il faut les traiter comme s’ils étaient membre du même peuple et il faut que les Israélites se souviennent qu’ils ont eux-mêmes été immigrés, comme eux. 

« Aime ton prochain comme toi-même », ce n’est donc pas « aime ton prochain comme tu t’aimes toi-même » mais plutôt « aime ton prochain (qui est) comme toi-même » !

Pourquoi aimer mon prochain ? Parce qu’il est comme moi, il est fait de la même pâte que moi, il est mon semblable, égal en dignité. Quel qu’il soit. Il est comme moi, créé par Dieu et aimé par lui. Ce qui fonde mon amour pour lui, ce n’est pas du tout l’amour que j’ai pour moi-même ! C’est l’amour que Dieu a pour lui. 

On comprend bien alors pourquoi Jésus a lié de manière inséparable l’amour pour Dieu et l’amour pour le prochain. Pourquoi aimer Dieu de tout notre cœur ? Parce que Dieu lui-même nous aime ! Et pourquoi aimer mon prochain qui est comme moi ? Parce que Dieu l’aime comme il m’aime !  

D’ailleurs, par amour Dieu est devenu comme moi. Le Fils de Dieu s’est fait être humain. Comme moi… 


Conclusion

On pourrait s’étonner de voir un commandement nous inciter à aimer. Est-ce qu’on peut vraiment décider d’aimer ? Oui ! Et c’est même nécessaire. Car il ne faut pas considérer l’amour comme étant simplement une émotion ou un sentiment. L’amour c’est ma façon d’être avec l’autre. 

Je peux aimer mon conjoint dont je suis tombé amoureux, je peux aimer mon ami qui m’accompagne depuis des années, je peux aimer mon frère ou ma sœur en Christ qui partage la même foi que moi, je peux même aimer celui ou celle que je ne connais pas, voire qui ne m’aime pas… 

Evidemment, l’amour ne sera pas le même dans tous les cas. Je ne peux pas me forcer à avoir des émotions ou des sentiments positifs envers quelqu’un mais je peux décider :

  • de voir toute ma vie comme une occasion d’aimer mon prochain, de manière directe ou indirecte. 
  • de couper court à toute envie de vengeance et ne pas laisser la rancune prendre racine dans mon cœur. 
  • de voir mon prochain, quel qu’il soit, comme mon semblable, aimé par Dieu comme Dieu m’aime.

C’est ainsi qu’il est possible, avec l’aide du Seigneur, d’aimer mon prochain comme moi-même, ou plutôt d’aimer mon prochain (qui est) comme moi-même. 


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