dimanche 21 janvier 2024

Le Royaume de Dieu est une fête

 

Après la Nativité, la visite des mages et le baptême de Jésus, l’épisode des noces de Cana est le quatrième récit biblique associé à l’origine à la fête de l’épiphanie. Comme pour les trois précédents, nous allons évoquer ce récit à l’aide d’un tableau d’un grand maître : Les noces de Cana de Paul Véronèse (1562-1563).

C’est un tableau que vous pouvez assez facilement admirer au musée du Louvres. D’abord parce qu’il est très grand : il mesure environ 10 mètres sur 7 ! Mais aussi parce qu’il est situé juste en face de la Joconde… et que tout le monde se presse autour du plus célèbre tableau du monde, parfois sans même voir celui qui est en face et qui est pourtant le plus grand tableau du musée ! 

Ce qui frappe d’abord dans ce tableau, c’est son caractère foisonnant. On y dénombre 132 personnages. La représentation n’est absolument pas réaliste puisque les habits, le décor, la vaisselle, tout évoque une fête fastueuse à Venise au XVIe siècle, au temps du peintre. Les musiciens jouent aussi sur des instruments de la Renaissance. Celui qui est habillé en blanc pourrait bien être un autoportrait du peintre… 

Au milieu de la scène, il y a Jésus, et à côté de lui, Marie, sa mère. On les distingue notamment parce qu’ils ont la tête auréolée. Jésus est à table avec les autres invités. Il se joint à la fête et participe au banquet. 

Les mariés, eux, sont relégués en bout de table, à gauche. Ce n’est pas très réaliste… mais la portée est symbolique. Le personnage important de l’histoire, c’est Jésus et pas les mariés. Marie aussi est un personnage important du récit. Elle a un rôle à jouer. 

Si on observe attentivement le tableau, le peintre y a inséré quelques indices du miracle que Jésus a accompli pendant les noces, en changeant de l’eau en vin. Les amphores apparaissent en évidence, au premier plan à droite du tableau. C’est bien du vin qui sort de celle que le serviteur est en train d’incliner. A gauche, un autre serviteur tient une amphore, et un jeune serviteur présente au marié un coupe pleine de vin. 

Par ailleurs, dans tout ce foisonnement, le peintre a glissé quelques éléments symboliques. On en trouve quelques-uns dans l’axe central du tableau, en dessous et au-dessus de Jésus. 

  • Au premier plan, au milieu des musiciens, il y a un sablier. Comme un symbole du temps qui passe : la mission de Jésus vient de commencer mais son temps est compté. 
  • Sur la terrasse, juste au-dessus de Jésus, des serviteurs coupent de la viande. Comme une annonce du sacrifice de Jésus à venir.
  • Et juste au-dessus de la tête de Jésus, posé sur la terrasse, un flacon. Peut-il évoquer le flacon du parfum que Marie de Béthanie versera sur la tête et les pieds de Jésus, juste avant son arrestation ?

Avec toutes ces images en tête, lisons maintenant le récit de cet épisode dans l’évangile de Jean. 

Jean 2.1-12
1 Il y eut un mariage à Cana, en Galilée. La mère de Jésus était là, 2 et on avait aussi invité Jésus et ses disciples à ce mariage. 3 Le vin se mit à manquer. La mère de Jésus lui dit : « Ils n'ont plus de vin. » 4 Mais Jésus lui répondit : « Que me veux-tu ? Mon heure n'est pas encore venue. » 5 La mère de Jésus dit aux serviteurs : « Faites tout ce qu'il vous dira. » 6 Il y avait là six jarres de pierre que les Juifs utilisaient pour leurs rites de purification. Chacune d'elles pouvait contenir une centaine de litres. 7 Jésus dit aux serviteurs : « Remplissez d'eau ces jarres. » Ils les remplirent à ras bord. 8 Alors Jésus leur dit : « Puisez maintenant de cette eau et portez-en au maître de la fête. » C'est ce qu'ils firent. 9 Le maître de la fête goûta l'eau changée en vin. Il ne savait pas d'où venait ce vin, mais les serviteurs qui avaient puisé l'eau le savaient. Il appela donc le marié 10 et lui dit : « Tout le monde commence par offrir le meilleur vin, puis, quand les invités sont ivres, on sert le moins bon. Mais toi, tu as gardé le meilleur vin jusqu'à maintenant ! »
11 Voilà le commencement des signes extraordinaires que fit Jésus. Cela eut lieu à Cana en Galilée ; il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui. 12 Après cela, il se rendit à Capharnaüm avec sa mère, ses frères et ses disciples. Ils y restèrent quelques jours.

Le premier miracle de Jésus, dans l’évangile de Jean, est quand même assez surprenant. On aurait pu s’attendre à quelque chose de plus « utile » comme une guérison, ou alors à quelque chose de plus spectaculaire, comme la tempête apaisée ou lorsque Jésus marche sur l’eau. 

Mais le premier miracle de Jésus, c’est de changer de l’eau en vin. Un miracle « inutile », un miracle de grâce qui invite à la fête ! C’est évidemment extraordinaire mais c’est un miracle dont probablement la plupart des bénéficiaires ne se sont même pas rendu compte. Le maître de la fête, lui, s’est bien rendu compte que ce vin servi alors que la fête bat son plein est meilleur que le précédent. Et ce n’est pas normal. Mais c’est le marié qu’il félicite ! Il s’en rend compte parce qu’il est sans doute resté sobre, à cause de sa responsabilité dans la fête. Mais les convives, eux, n’ont probablement pas remarqué la différence. Le maître de la fête le dit bien : en général, quand tout le monde est ivre, on sert du vin moins bon… parce que les convives ne sont plus très lucides. Ce qui était certainement le cas de la plupart des convives, qui ne se sont donc sans doute pas rendu compte du miracle qui avait eu lieu. 

Les disciples de Jésus, eux, en observant leur maître, ont sans doute perçu quelque chose de ce qui se passaient. Le texte biblique nous dit, à la fin du récit, que « ses disciples crurent en lui. » (v.11). Et puis il y a Marie, et son dialogue étonnant avec son fils Jésus, qui elle aussi se rend compte visiblement que quelque chose de spécial est en train de se passer. 

Ainsi, ce premier miracle de Jésus est bien un signe… mais il l’est seulement pour ceux qui y prêtent attention, pour ceux qui savent le percevoir. Il peut l’être pour nous aussi. De quoi est-il donc le signe ? 


Le Royaume de Dieu est une fête

Il y a plusieurs symboles qui s’entremêlent dans le récit : 

  • L’histoire se déroule au cours d’une noce. Or, le mariage est un symbole souvent utilisé dans l’Ancien Testament pour désigner l’alliance de Dieu avec son peuple. Cette idée est reprise dans la Nouveau Testament, notamment de façon très forte à la fin de l’Apocalypse, mais aussi dans les lettres de Paul.
  • Le miracle de Jésus a lieu pendant un repas, qui est un autre symbole biblique du Royaume de Dieu. Les prophètes parlent d’un grand repas pour évoquer l’aboutissement du projet de Dieu. C’est une image qui est reprise par Jésus lui-même dans ses paraboles. 
  • Et puis il y a le vin. Chez les prophètes, la vigne est un symbole du peuple de Dieu. Ici, le vin vient à manquer et Jésus en procure un nouveau, meilleur que le premier. Y a-t-il un meilleur symbole pour évoquer la nouvelle alliance, elle-même annoncée par les prophètes ? D'autant que l'eau dont il se sert pour la transformer en vin vient de jarres destinées aux rituels de purification !

Oui, c’est bien le Royaume de Dieu que Jésus est venu inaugurer. Il est venu pour conclure une alliance nouvelle… Et ça se fête ! 

Très peu s’en rendent compte alors mais ce repas de noces à Cana où Jésus change de l’eau en vin, c’est un peu la fête d’inauguration du Royaume qui vient. Evidemment, cette portée prophétique du signe de Cana était impossible à comprendre pour les convives, même pour ses disciples. Pour nous qui connaissons la suite de l’histoire, c’est différent. 

N’y a-t-il pas dans ce récit, pour nous, comme une invitation à la fête ? C’est une invitation à recevoir le Royaume de Dieu comme une fête, à se réjouir de sa venue avec Jésus-Christ. A se réjouir aussi de sa venue en nous, par son Esprit. Être citoyen du Royaume de Dieu, par la foi, ça se fête !  


Le compte à rebours est déclenché

Mais il y a bien aussi une part d’ombre dans la fête. Elle ressort particulièrement de ce dialogue étonnant de Jésus avec sa mère. 

Pourquoi Marie, voyant qu’il n’y a plus de vin, le dit-elle à Jésus ? Elle aurait pu en parler au marié ou au maître de la fête… Pourquoi Jésus lui répond-il de façon aussi sèche ? C’est en tout cas l’impression que donne sa réponse… Pourquoi Marie dit-elle alors aux serviteurs « faites tout ce qu’il vous dira » ? 

Je ne suis pas sûr d’avoir toutes les réponses à ces questions… Mais ce dialogue surprenant permet de pointer sur « l’heure » qui doit venir pour Jésus… « Mon heure n’est pas encore venue » dit Jésus. Plus tard dans l’évangile, cette « heure » désignera le moment de son arrestation et de sa mort. C’est ainsi que Jésus commencera sa dernière prière en faveur de ses disciples : « Jésus leva les yeux vers le ciel et dit : Père, l'heure est venue. Manifeste la gloire de ton Fils, afin que le Fils manifeste aussi ta gloire. » (Jean 17.1)

Au début de son ministère, au milieu de cette fête joyeuse, qu’il va rendre encore plus joyeuse par l’eau qu’il va changer en excellent vin, Jésus se préoccupe aussi de cette « heure » qui doit venir. C’est peut-être ce qui explique le ton un peu sec qu’il utilise dans son dialogue avec sa mère… 

C’est comme si, avec ce premier miracle de Jésus, le compte à rebours était déclenché. Vous vous souvenez du sablier dans le tableau de Véronèse ?... Son temps est, en effet, désormais compté. Pour l’instant, c’est la fête. Mais l’heure viendra où la fête laissera place au deuil. Jésus en est bien conscient, dès le début de son ministère. Même au moment de changer de l’eau en vin. Et plus tard, quand Jésus instituera la Cène, le vin sera le symbole de son sang qui va couler… 

Si le vin coule à flot et que la fête bat son plein, l’heure vient où ce sera le sang de Jésus qui coulera. Sa mort sera le chemin douloureux par lequel Jésus a dû passer pour établir le Royaume de Dieu. Mais nous savons que la mort de Jésus, loin d’être une défaite, sera en réalité sa victoire sur le mal et le péché, une victoire qui deviendra éclatante le jour de sa résurrection !

Ces sentiments mêlés en Jésus peuvent faire écho à notre propre expérience. Oui, le Royaume de Dieu est une fête. Oui, en être citoyen par la foi est un formidable sujet de joie. Mais aujourd’hui encore, notre joie est parfois mêlée de tristesse ou au moins de préoccupation. A cause des épreuves que nous traversons, et que traverse notre monde. Nous attendons encore le jour où la mort sera vaincue et un Royaume de justice et de paix sera pleinement établi sur la terre, dans une création nouvelle, rachetée. 


Conclusion

Le miracle des noces de Cana est bien une épiphanie, c’est-à-dire une manifestation de Dieu. Ca l’est non seulement par le miracle lui-même mais aussi et surtout pour le signe qu’il représente. Il s’agit, en quelque sorte, et symboliquement, d’une fête pour l’inauguration du Royaume de Dieu. 

Pour nous, le premier miracle de Jésus est une invitation à la fête. Car le Royaume de Dieu s’est approché. Il est à notre portée aujourd’hui, nous sommes invités à le découvrir par la foi.  

Oui, le Royaume de Dieu est une fête. Savons-nous y puiser notre joie et notre paix ? Et cela malgré les épreuves et les difficultés de la vie… Le Royaume de Dieu est notre fête. Dès aujourd’hui, et pour l’éternité ! 


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