dimanche 3 mars 2024

Les deux tables du Décalogue (2) Ma relation à mon prochain

 

Le Décalogue, c’est 10 paroles, 10 repères éthiques pour le croyant, un texte fondateur de l’Ancien Testament, toujours d’actualité. Il est divisé en deux tables : la première oriente ma relation à Dieu, la deuxième ma relation à mon prochain. 

A la question « Qu’est-ce que la première table du Décalogue me dit de ce que doit être ma relation à Dieu ? » nous avions répondu qu’elle nous invitait d’abord à adopter une juste posture devant Dieu, celle de la créature devant le Créateur. Je suis appelé à accueillir Dieu dans ma vie comme Dieu, de manière absolue et exclusive, et de me laisser surprendre par lui, sans jamais vouloir mettre la main sur lui, de quelque manière que ce soit. 

Nous répondrons ce matin à la deuxième question : Qu’est-ce que la deuxième table du Décalogue me dit de ce que doit être ma relation à mon prochain ?

Exode 20.13-17
13 Tu ne commettras pas de meurtre.
14 Tu ne commettras pas d'adultère.
15 Tu ne commettras pas de vol.
16 Tu ne prononceras pas de faux témoignage contre ton prochain.
17 Tu ne convoiteras rien de ce qui appartient à ton prochain, ni sa maison, ni sa femme, ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne.

Les cinq dernières paroles du Décalogue sont dans une formulation négative, indiquant un interdit absolu. Comme pour la première table, on peut sans doute distinguer ces 5 paroles en 3 + 2. Les trois premières paroles sont des absolus, formulés de façon extrêmement concise. Les deux dernières paroles sont plus longues, mentionnant explicitement le prochain. Les trois premières paroles concernent des actes : tuer, commettre un adultère ou voler. Les deux dernières vont au-delà des actes, dans les paroles (le faux témoignage) ou même les pensées (la convoitise). 

Une remarque préliminaire avant d’aller plus loin... Oui, les formulations de ces cinq paroles sont inscrites dans leur contexte culturel. Un contexte marqué par le patriarcat. Pour un lecteur moderne, c’est particulièrement sensible, et même choquant, dans le 10e commandement, qui parle de ce qui appartient au prochain (déjà, le terme est masculin…), et où la femme du prochain apparaît dans la liste de ses possessions, aux côtés de ses serviteurs, de sa maison et de ses animaux domestiques ! On ne dirait évidemment pas les choses comme ça aujourd’hui… mais il n’est pas très difficile de transposer sans trahir, et de discerner la pertinence de cette parole. 


Trois absolus

Regardons d’abord les paroles 6-8 ensemble. Les absolus qu’elles représentent nous poussent à les considérer en regard de la première parole du Décalogue, elle aussi formulée de façon absolue : « Tu n’auras pas d'autres dieux face à moi. » On pourrait ainsi dire que ces paroles appliquent à notre relation au prochain ce qui est fondamental dans notre relation à Dieu. Je ne peux pas me poser moi-même en « dieu » de mon prochain, quel qu’il soit. Je ne peux pas m’arroger le droit de disposer de l’autre, qu’il s’agisse de sa vie, de son conjoint ou de ses biens. Ce sont trois interdits absolus parce qu’ils transposent dans notre relation à notre prochain l’absolu du premier commandement. Précisons un peu la compréhension de ces trois paroles.

Tu ne commettras pas de meurtre

C’est sans doute mieux de traduire ainsi que « tu ne tueras pas » qui est trop large. Dans la Bible, le verbe n’est pas utilisé pour évoquer par exemple le pouvoir de la justice (la peine de mort existait alors), ni les tueries dans le cadre de guerres, ni évidemment le fait de tuer des animaux pour se nourrir. Mais parler de meurtre n’est pas idéal non plus, puisqu’il désignerait le fait de tuer volontairement quelqu’un. Or, ce verbe est utilisé dans la Bible pour évoquer le fait de donner soi-même la mort à un autre être humain, que ce volontairement ou involontairement. Peut-être devrait-on parler d’homicide, même si le terme est un peu technique… 

Il s’agit de s’interdire tout comportement qui peut porter atteinte à la vie de notre prochain. Evidemment que ça concerne toute forme de violence physique à son égard. Mais l’interdit vaut aussi, par exemple, pour un comportement irresponsable qui met en danger la vie d’autrui, au volant de sa voiture par exemple. 

Il s’agit finalement d’inviter à un respect absolu de notre prochain, quel qu’il soit. Tu aimeras ton prochain comme toi-même, tu l’aimeras parce qu’il est comme toi-même. Et à ce titre, il mérite ton respect. 

Tu ne commettras pas d’adultère

Ici, on veut protéger le mariage, c’est-à-dire le projet d’un couple. Il faut le dire, la formule du Décalogue s’inscrit dans le contexte culturel évoqué tout à l’heure. L’idée de cette parole est de dire qu’on ne peut pas prendre la femme qui appartient à un autre. Aujourd’hui, on peut très bien « dégenrer » la question, et dire qu’on ne doit pas briser un mariage, qu’on soit un homme ou une femme… 

Le mariage, dans la pensée biblique, c’est une alliance librement consentie, un engagement réciproque pour la vie. C’est aussi un reflet de l’alliance de Dieu avec son peuple, une alliance à laquelle Dieu demeurera toujours fidèle. Dans le mariage, l’engagement se fait devant Dieu, et c’est Dieu qui unit. C’est ce qui poussera Jésus à dire : « Que personne ne sépare pas ce que Dieu a uni » (Marc 10.9). Commettre un adultère, c’est briser ce que Dieu a uni… 

Tu ne commettras pas de vol 

Cette huitième parole est aisément compréhensible et demande peu d’explication. Voler, c’est prendre ce qui ne nous appartient pas, ou plus précisément ce qui appartient à quelqu’un d’autre. Quelle que soit la façon dont le vol est commis. 

Mais le verbe traduit ici par voler semble signifier, à l’origine, dérober ou enlever quelqu’un. Ce qui pousse la TOB à traduire : « Tu ne commettras pas de rapt. » Mais le sens semble trop restrictif ici. Ce qu’il faut retenir ici c’est que l’étymologie du verbe met moins l’accent sur le bien dérobé que sur la personne volée. 

C’est la relation qui est abîmée dans le vol. Et encore une fois, m’arroger le droit de prendre à un autre ce qui lui appartient, c’est me faire dieu pour mon prochain. C’est la question fondamentale que nous posent ces trois paroles : quelle est ma posture face mon frère ou ma sœur en humanité ? Est-ce que j’agis comme un dieu ou comme un prochain (au sens du de la parabole du bon Samaritain : le prochain est celui qui vient en aide au blessé) ? 


Plus que les actes

Venons-en maintenant aux deux dernières paroles qui concernent, non plus des actes par lesquels on porte atteinte à notre prochain, mais des paroles et même des pensées, qui elles aussi peuvent porter atteinte à notre prochain. 

Les paroles

Le faux témoignage dénoncé par la 9e parole s’inscrit d’abord, bien-sûr, dans un contexte juridique. Il s’agit de ne pas porter de faux témoignage, ou mentir d’une façon qui nuise à notre prochain. Cette dimension relationnelle est essentielle. Il n’est pas dit « tu ne mentiras pas ». C’est trop général, abstrait. Ce qui est interdit ici, c’est une parole qui va nuire à notre prochain. C’est particulièrement vrai devant un juge, lors d’un procès. Mais n’est-ce pas vrai aussi en dehors de ce contexte précis ? Lorsque nous parlons des autres. Lorsque nous répandons des rumeurs voire des calomnies… 

En fait, la question que nous pose cette parole, c’est : « comment parlons-nous des autres ? » Non pas comment parlons-nous aux autres (ce qui est aussi une question intéressante) mais comment parlons-nous d’eux ? En leur absence, derrière leur dos… Nous sommes appelés à veiller sur nos paroles, non pas seulement en présence des autres mais aussi en leur absence. 

Entretenir une rumeur ou répandre une calomnie porte atteinte à l’autre. Elle peut même détruire quelqu’un. 

Les pensées

Quant à la dernière parole, elle va plus loin encore, avant les actes, avant même les paroles, elle parle de nos pensées. 

Le mot convoitise est aujourd’hui très connoté. On n’en a retenu presque qu’une dimension charnelle, sexuelle. C’est en tout cas très marqué dans l’histoire de l’Eglise, jusqu’à aujourd’hui. C’est devenu LE péché par excellence, comme s’il n’y avait que celui-là. Il faut sortir de cette obsession malsaine. 

La « convoitise » dont il est question ici est bien plus large. C’est finalement une parole qui nous met en garde contre la tendance naturelle que nous avons à penser que l’herbe est toujours plus verte ailleurs. J’aime bien la traduction que propose Alphonse Maillot : « Tu ne loucheras pas vers la maison de ton prochain… » 

La question que nous pose cette parole, c’est : « comment regardons-nous les autres ? »

Lorsque le regard est bienveillant et respectueux, tout va bien. Mais lorsqu’il devient convoitise, ça se gâte. Parce qu’une telle attitude affecte ma relation à l’autre, elle entretient chez moi la frustration et l’insatisfaction, et elle génère dans ma relation à l’autre de l’envie et de la jalousie. Et tout cela est très mauvais pour des relations saines et paisibles ! Et, évidemment, ça peut conduire au passage à l’acte, et on tombe alors sous le coup des paroles 6-8 ! 


Conclusion

Qu’est-ce que la deuxième table du Décalogue me dit de ce que doit être ma relation à mon prochain ?

Elle me dit de refuser de me positionner en dieu de l’autre et de choisir de me positionner en prochain. 

  • Un dieu estime avoir tous les droits, il se permet de juger, de se servir de l’autre, de porter atteinte à sa personne
  • Un prochain se met à la même hauteur, il respecte l’autre, sa personne, ses biens, sa liberté

Et cela ne concerne pas seulement mes actes mais tout autant mes paroles et même mes pensées. 

Les paroles du Décalogue sont bien des repères éthiques essentiels pour le croyant, pour celui ou celle qui veut, comme Jésus nous y invite, aimer Dieu de tout son cœur et aimer son prochain. 


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