Ce matin c’est la troisième et dernière prédication d’une mini-série autour de ce que j’ai appelé le trépied de la vie chrétienne. Un trépied est un accessoire essentiel pour un photographe, qui lui permet d’assurer la stabilité de sa prise de vue et donc de garantir des clichés nets. De même, il y a un trépied essentiel pour le chrétien, pour lui permettre de garder une vision nette et claire de sa vie, et pour trouver une stabilité, quelles que soient les circonstances. C’est un trépied constitué par la foi, l’espérance et l’amour, comme l’affirme l’apôtre Paul dans sa première lettre aux Corinthiens :
1 Corinthiens 13.13Maintenant, ces trois choses demeurent : la foi, l'espérance et l'amour ; mais la plus grande des trois est l'amour.
Nous terminons donc cette mini-série avec l’amour, que la formule de l’apôtre Paul identifie comme la plus grande des trois « choses qui demeurent ». Mais en quoi est-ce la plus grande ?
Si on lit ce que Paul dit dans les versets qui précèdent, avec son grand hymne sur l’amour, on distingue deux raisons pour lesquelles l’amour est plus grand que la foi et l’espérance.
Tout d’abord, l’amour est plus grand parce que si l’amour est absent, tout le reste est disqualifié, y compris la foi et l’espérance. En effet, l’apôtre Paul le souligne avec force :
1 Corinthiens 13.1-31Supposons que je parle les langues des êtres humains et même celles des anges : si je n'ai pas d'amour, je ne suis rien de plus qu'un métal qui résonne ou qu'une cymbale bruyante. 2Je pourrais transmettre des messages reçus de la part de Dieu, posséder toute la connaissance et comprendre tous les mystères, je pourrais avoir la foi capable de déplacer des montagnes, si je n'ai pas d'amour, je ne suis rien ! 3Je pourrais distribuer tous mes biens aux affamés et même livrer mon corps aux flammes, si je n'ai pas d'amour, cela ne me sert à rien !
D’autre part, l’amour est le plus grand parce que l’amour est éternel, c’est-à-dire qu’il n’est jamais appelé à disparaître. Ce n’est pas le cas de la foi et de l’espérance. Un jour, nous n’aurons plus besoin de la foi ni de l’espérance puisque nous serons dans la présence même de Dieu :
1 Corinthiens 13.8-128L'amour est éternel ! Les messages reçus de Dieu cesseront un jour, le don de parler en des langues inconnues prendra fin, la connaissance disparaîtra. 9En effet, nous connaissons de manière incomplète et nous annonçons des messages reçus de Dieu de façon limitée ; 10mais quand viendra la perfection, ce qui est incomplet disparaîtra.11Lorsque j'étais enfant, je parlais comme un enfant, je pensais comme un enfant et je raisonnais comme un enfant ; mais une fois devenu adulte, j'ai abandonné tout ce qui est propre à l'enfant. 12À présent, nous ne voyons qu'une image confuse, pareille à celle d'un vieux miroir ; mais alors, nous verrons face à face. À présent, je ne connais que de façon incomplète ; mais alors, je connaîtrai Dieu complètement, comme lui-même me connaît.
Il n’y aura alors plus besoin ni de foi ni d’espérance. Mais nous aurons toujours besoin de l’amour. On connaîtra même l’amour dans toute sa plénitude, dans la présence même de Celui qui est amour.
Comment cet amour est-il appelé à se manifester aujourd’hui ? Le plus simple est de lire ce que Paul en dit dans les quelques versets que nous n’avons pas encore lus, au cœur de l’hymne de 1 Corinthiens 13 :
1 Corinthiens 13.4-74L'amour est patient et bon, il n'est pas envieux, ne se vante pas et n'est pas prétentieux ; 5l'amour ne fait rien de honteux, n'est pas égoïste, ne s'irrite pas et n'éprouve pas de rancune ; 6l'amour ne se réjouit pas du mal mais il se réjouit de la vérité. 7En toute circonstance il fait face, il garde la foi, il espère, il persévère.
On remarque que l’argumentation de l’apôtre Paul dans ces quelques versets se fait en trois temps :
- Tout d’abord, l’amour est caractérisé par deux qualificatifs : « l’amour est patient et bon »
- Ensuite, il y a une liste de ce que l’amour n’est pas : « il n’est pas envieux, ne se vante pas, etc. »
- Enfin, l’amour est caractérisé par quatre formules absolues : « En toute circonstance il fait face, il garde la foi, il espère, il persévère. »
L’amour est patient et bon
Commençons par les deux qualificatifs de l’amour : la patience et la bonté. En grec, le mot amour (agapê) est le sujet de deux formes verbales. On pourrait traduite : « l’amour prend patience et l’amour fait preuve de bonté ». Un verbe caractérise une action. L’amour dont il est question ici n’est ni un sentiment à l’eau de rose ni une passion dévorante, c’est une façon d’être et d’agir, c’est une caractéristique de notre attitude, de notre comportement. L’amour se concrétise en actes.
La patience et la bonté ne sont pas choisies par hasard. Il s’agit d’abord de deux attributs majeurs de Dieu. Les deux termes font écho à la fameuse formule qu’on trouve plusieurs fois dans l’Ancien Testament et définissant Dieu en disant qu’il est « lent à la colère et riche en bonté ».
Il s’agit donc pour nous, sans surprise, d’agir à l’image de Dieu. Il s’agit de faire preuve de patience et de bonté envers notre prochain, comme Dieu fait preuve de patience et de bonté à notre égard.
Être patient, c’est laisser la liberté et le temps à l’autre d’avancer, de progresser, de changer. C’est une preuve d’amour, une forme de grâce. Manifester de la bonté, c’est aller vers l’autre, s’intéresser à lui, chercher activement son bonheur. Les deux, ensemble, expriment bien ce qu’est l’amour.
Ça fonctionne dans tous les cas où il peut être question d’amour. Celles et ceux qui ont quelques années d’expérience de couple pourront sans aucun doute témoigner de l’importance cruciale de la patience dans leur amour. Dans la relation parents-enfants, c’est pareil ! Et c’est valable dans les deux sens… Même dans l’amour qu’on est appelé à manifester plus largement à notre prochain, la patience et la bonté sont vraiment deux dimensions essentielles.
On peut même considérer que la patience et la bonté constituent ensemble une clé de compréhension de l’amour. Et si on veut s’interroger sur la qualité de notre amour, on peut se poser la question : Est-ce que l’amour que je prétends témoigner à l’autre est caractérisé par la patience et la bonté ?
Les deux sont importants. La bonté seule ne suffit pas… car elle risque d’en rester à de bonnes intentions mais sans se concrétiser de manière adaptée à l’autre, en prenant en considération ce qu’il est. Et la patience seule ne suffit pas… car il peut y avoir une patience qui n’est pas de l’amour mais plutôt de l’indifférence. L’amour, c’est la patience ET la bonté.
L’amour est une lutte
Après les deux qualificatifs de l’amour, l’apôtre Paul utilise plusieurs formules négatives pour dire ce que l’amour n’est pas, ou plutôt ce qu’il ne fait pas. A noter toutefois que la dernière formule verbale est, elle, positive. Je cite ici les versets 5-6 dans la version TOB : « il ne fait rien de laid, il ne cherche pas son intérêt, il ne s’irrite pas, il n’entretient pas de rancune, il ne se réjouit pas de l’injustice mais il trouve sa joie dans la vérité. »
Ici encore, c’est une série de verbes qui est utilisée. Et le fait que 5 formes verbales sont négatives et une seule positive laisse entendre que l’amour ne nous est pas forcément naturel et que c’est une lutte pour nous que de ne pas se laisser emporter vers des comportements contraires. Aimer, c’est aussi lutter pour ne pas faire certaines choses, pour ne pas se laisser aller à certaines attitudes.
En y réfléchissant, on se rend compte que les différents comportements contre lesquels l’apôtre Paul nous met en garde vont à l’encontre de la patience ou la bonté qu’il a évoqué au début. « il ne fait rien de laid, il ne cherche pas son intérêt… » Là on est plutôt dans l’absence de bonté, que ce soit en faisant quelque chose de laid, qui va nuire aux autres, ou de ne pas prendre en compte leur intérêt pour ne penser qu’au sien. « Il ne s’irrite pas, il n’entretient pas de rancune… » Là on est plutôt dans l’absence de patience, dans le cas de la colère comme de la rancune, on n’accepte pas que l’autre ne soit pas à la hauteur de nos attentes, on ne lui donne pas le temps ni le droit de changer.
Quant aux deux derniers verbes, évidemment on comprend qu’on ne peut pas aimer en se réjouissant de l’injustice… même si on pense que ceux qui en sont touchés le méritent, même si cette injustice nous épargne, nous. Trouver sa joie dans la vérité, c’est autant pour soi que pour les autres.
Manifester l’amour auquel nous sommes appelés en tant que croyants nous conduit à une lutte intérieure, un combat et une vigilance de tous les instants. Si nous voulons progresser dans l’amour, demandons-nous ce qui dans notre cœur, dans nos pensées ou dans nos actes, nous empêche d’être patient ou bon envers notre prochain. Contre quoi devons-nous lutter en nous-mêmes, dans quels domaines devons-nous laisser l’Esprit de Dieu nous transformer pour ôter les obstacles à l’amour, à la patience et à la bonté ?
L’amour est un absolu « tout terrain »
En grec, les quatre formules verbales du verset 7 insistent sur le « tout ». Je cite à nouveau la version TOB : « Il excuse tout, il croit tout, il espère tout, il endure tout. »
Au premier abord, on pourrait avoir l’impression que l’amour, ici, est naïf et crédule. Ce n’est pas le cas. Plutôt que de condamner, l’amour choisit d’excuser, de passer par-dessus. Plutôt que d’être méfiant voire suspicieux, l’amour choisit de faire confiance. Plutôt que d’être sceptique ou défaitiste, l’amour choisit de garder espoir. Plutôt que d’abandonner ou de laisser tomber, l’amour choisit de continuer et de persévérer.
L’amour met la préservation de la relation ou sa restauration par-dessous toute autre préoccupation.
N’y a-t-il pas, là encore, une manière d’évoquer la patience et la bonté mais cette fois de manière absolue ?
Aimer est un impératif absolu, qui est appelé à se manifester différemment selon les circonstances. On pourrait dire que l’amour est un absolu tout terrain. C’est ce qui fait sa force mais aussi ce qui représente tout son défi !
On pourrait même l’envisager sur le terrain de notre amour pour Dieu. Certes, dans ce cas, c’est d’abord Dieu qui est patient et bon à notre égard. L’expression de notre amour pour lui sera de reconnaître et célébrer cette patience et cette bonté. Ce sera aussi de nous efforcer de vivre à son image et de faire preuve de patience et de bonté envers notre prochain.
Mais finalement, l’espérance n’est-elle pas aussi une forme de patience, dans l’attente confiante des promesses de Dieu ? Et la foi n’est-elle pas aussi une forme de bonté, dans le sens d’une ouverture, d’un accueil, d’une volonté de chercher Dieu et sa présence, de chercher à lui faire plaisir ?
Finalement, le trépied de la vie chrétienne est tout entier amour, amour pour le prochain et amour pour Dieu. Il a besoin, aujourd’hui, de la foi et de l’espérance, parce que nous attendons encore le Royaume qui vient. Mais alors, au jour de l’accomplissement du projet de Dieu, notre trépied éternel sera l’amour, toujours l’amour, rien que l’amour.
Conclusion
Aujourd’hui, notre amour est appelé à se manifester dans la patience et la bonté. Et c’est une lutte, parce que nous pouvons facilement nous laisser entraîner sur d’autres voies... Mais ça en vaut la peine, parce que notre amour pour Dieu et pour notre prochain est capable de s’adapter à tous les terrains de notre vie, même les plus accidentés. En cela il peut être un témoignage concret de l’amour de Dieu, c’est-à-dire de sa patience et de sa bonté à notre égard, et envers toutes et tous.
L’amour ne se limite pas à la patience et la bonté. C’est plus riche et plus complexe que cela. Mais la patience et la bonté constituent ensemble une clé précieuse de compréhension de l’amour.
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