dimanche 22 décembre 2024

La foi de Marie

Pour cette troisième prédication de notre mini-série de l’Avent, à partir de quelques tableaux de grands maîtres, je vous propose, après Jean-Baptiste, de nous arrêter sur un autre personnage incontournable de l’Avent : Marie. 

Nous le ferons à partir d’un tableau de 1898, « L’annonciation », de Henry Ossawa Tanner. Fils d’un pasteur méthodiste, Tanner était un peintre américain, qui a passé l’essentiel de sa carrière d’artiste en France. Il est devenu le premier peintre afro-américain à recevoir une reconnaissance internationale. 

Il a peint cette scène de l’Annonciation à son retour d’un voyage en Egypte et en Palestine. Il s’en est inspiré pour peindre son tableau, d’où il se dégage un souci d’authenticité et de réalisme, qui tranche avec les représentations traditionnelles de la scène de l’Annonciation dans l’art occidental, avec une Marie à l’européenne, peau claire et chevelure blonde. 

Le cadre est modeste et évoque bien une humble demeure moyen-orientale. Marie y apparaît comme une jeune femme, une adolescente, habillée de manière très simple, comme une paysanne du Moyen-Orient. Sans auréole ni halo de lumière… Elle est assise sur le bord de son lit, les mains jointes, en prière… mais avec les yeux ouverts. 

Son regard et l’expression de son visage expriment l’interrogation, voire une certaine appréhension, mais aussi une forme de sérénité. Elle ne semble pas avoir peur. Elle regarde et elle écoute. 

Ce qu’elle regarde est à gauche du tableau. Une colonne de lumière, comme une ouverture sur le monde spirituel. On peut penser aussi à la colonne de feu qui guidait les Israélites dans le désert. C’est l’ange Gabriel venu annoncer la conception virginale de celui qui deviendra Jésus. On est loin de la représentation traditionnelle des anges en jeunes êtres d’apparence humaine, en vêtements blancs, voire avec des ailes déployées. 

Si on examine la scène, on peut y discerner aussi des symboles chrétiens cachés, présents de façon discrète, dans le tableau :

  • Il y a trois jarres qui forment un triangle, référence sans doute à la Trinité. Des jarres qui, par ailleurs, peuvent signifier la vocation de Marie à être le « récipient » qui accueillera en son sein le Fils de Dieu devenu homme. 
  • Il y a aussi une étagère en haut à gauche du tableau qui, en croisant la colonne de lumière, forme une croix… Le symbole chrétien par excellence, celui de la mort en sacrifice qui attend l’enfant dont l’ange annonce la conception dans le sein de Marie. 

Ce tableau de Henry Ossawa Tanner évoque le surnaturel qui survient dans le quotidien, l’extraordinaire dans l’ordinaire. Il illustre aussi la façon toute simple dont Marie, humblement, accueille la promesse extraordinaire qui lui est faite. Et en cela, il est une belle évocation du récit que nous trouvons dans l’évangile de Luc. 

Luc 1.26-38
26Le sixième mois, Dieu envoya l'ange Gabriel dans une ville de Galilée, Nazareth, 27chez une jeune fille dont le fiancé s'appelait Joseph. Celui-ci était un descendant du roi David ; le nom de la jeune fille était Marie. 28L'ange entra chez elle et lui dit : « Réjouis-toi ! Le Seigneur t'a accordé une grande faveur, il est avec toi. » 29Marie fut très troublée par ces mots ; elle se demandait ce que signifiait cette salutation. 30L'ange lui dit alors : « N'aie pas peur, Marie, car tu as la faveur de Dieu. 31Bientôt tu seras enceinte, et tu mettras au monde un fils que tu appelleras du nom de Jésus. 32Il sera grand et on l'appellera le Fils du Dieu très-haut. Le Seigneur Dieu fera de lui un roi, comme le fut David son ancêtre, 33et il régnera pour toujours sur le peuple d'Israël, son règne n'aura pas de fin. » 34Marie dit à l'ange : « Comment cela sera-t-il possible, puisque je suis vierge ? » 35L'ange lui répondit : « L'Esprit saint viendra sur toi et la puissance du Dieu très-haut te couvrira comme d'une ombre. C'est pourquoi l'enfant qui va naître sera saint, on l'appellera Fils de Dieu. 36Élisabeth ta parente attend elle-même un fils, malgré son âge ; elle qu'on disait stérile en est maintenant à son sixième mois. 37Car rien n'est impossible à Dieu ! » 38Alors Marie dit : « Je suis la servante du Seigneur ; que tout se passe pour moi selon ta parole. » Et l'ange la quitta.


Un mystère extraordinaire

Le plus extraordinaire dans ce récit n’est pas l’apparition de l’ange Gabriel, c’est le message dont il est porteur. « L'enfant qui va naître sera saint, on l'appellera Fils de Dieu. » La conception de Jésus sera différente parce que la nature de l’enfant qui va naître est différente. Il est saint, à part, unique. On l’appellera Fils de Dieu parce qu’il est pleinement humain, né de Marie, et pleinement divin, conçu par le Saint-Esprit.

Bien-sûr, l’élaboration théologique de la double nature du Christ, pleinement humain et pleinement divin, n’est pas développée comme elle le sera par la suite… mais elle est bien présente, au moins en germe. 

Si l’évangile de Marc ne dit rien de la naissance de Jésus, Matthieu affirme sensiblement la même chose que Luc, même s’il l’évoque différemment. C’est à Joseph que l’ange s’adresse pour lui dire : « Joseph, descendant de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ta femme, car l'enfant qui a été conçu en elle vient de l'Esprit saint. » (Mt 1.20) Quant à Jean, dans son prologue, il l’évoque de façon plus philosophique mais il ne dit pas autre chose lorsqu’il affirme : « La Parole est devenue chair ; elle a fait sa demeure parmi nous. » (Jn 1.14 NBS). 

C’est le mystère de l’incarnation qui est affirmé par Luc, Matthieu et Jean, de manière différente, certes, mais de façon toute aussi forte pour les trois. Et le miracle de la naissance virginale en est le corollaire. Ce n’est pas une fable ou une affirmation archaïque qu’il faudrait moderniser ou démythologiser. 

Peut-on encore croire à la naissance virginale aujourd’hui ? La réponse est oui ! C’est un mystère, il dépasse donc notre intelligence. Il est à accueillir par la foi. Le Fils de Dieu devient homme. Jésus est pleinement humain et pleinement divin. Sa conception est différente des autres, à cause de ce mystère. Un mystère que Marie a accueilli, dans la confiance et la paix, comme le tableau de Tanner le laisse entrevoir… 


La foi de Marie

La particularité de Luc est de se centrer sur Marie. Quel est son rôle dans cet épisode ? Celui d'une femme de foi. 

On pourrait se dire, au premier abord, qu’elle n’est que passive. On ne lui demande même pas son avis. L’ange l’informe qu’elle est enceinte, que l’enfant en son sein a été conçu par le Saint-Esprit et que l’enfant qui naîtra sera le Messie promis par les prophètes. Ça fait quand même pas mal d’informations, et la pilule ne devait pas être facile à avaler ! 

Il y a trois étapes dans l’attitude de Marie dans notre texte, qui traduisent trois étapes d’un cheminement de foi. 

Perplexité

On voit d’abord Marie perplexe, au début du récit. Ce qui la fait réfléchir, c’est moins l’ange qui lui apparaît que les mots qu’il a prononcé pour la saluer : « Réjouis-toi ! Le Seigneur t'a accordé une grande faveur, il est avec toi. » Luc précise que ce sont bien les mots entendus qui troublent Marie. Pourquoi ? 

Sans doute parce que l’ange lui dit qu’elle a reçu une faveur, une grâce particulière de la part de Dieu. La formule est énigmatique et suscite la curiosité de Marie. De quelle faveur l’ange parle-t-il ? 

N’y a-t-il pas là, déjà, un signe d’une vigilance spirituelle de la part de Marie ? Beaucoup sans doute auraient été surprises par l’apparition de l’ange et n’auraient même pas eu conscience de ce qui pouvait se cacher derrière les paroles de salutation prononcées… Mais Marie a compris qu’il y avait quelque chose de spécial. Elle se tient sur la brèche et veut comprendre… Et c’est déjà bien une attitude de foi. 

Incompréhension

C’est lorsque l’ange précise le motif de sa venue que Marie réagit plus explicitement et dir son incompréhension. On lui annonce qu’elle sera enceinte et qu’elle donnera naissance à un enfant, qu’elle appellera du nom de Jésus, ce qui signifie « le Seigneur sauve ». 

« Comment cela sera-t-il possible, puisque je suis vierge ? » Littéralement « Comment cela se fera-t-il puisque je ne connais pas d’homme », le verbe connaître étant ici utilisé comme un euphémisme. 

C’est une question. Marie ne dit pas « c’est impossible ! », « je n’arrive pas y croire ! » Elle dit « je ne comprends pas comme ça peut arriver ». Et en cela, Marie fait preuve d’une réelle foi. L’incrédulité serait de dire : « Je n’y crois pas, c’est impossible ! » La foi peut dire : « Je ne comprends pas, ça me dépasse ! »

Le fait de le dire, simplement, est aussi une démarche de foi. Une humble reconnaissance de nos limites, mais aussi le désir de comprendre, de surmonter ces interrogations voire ces doutes. C’est exactement cela le chemin de la foi. Non pas s’enfermer dans des certitudes mais avancer aussi avec ses doutes et ses interrogations, et chercher à les surmonter, dans la confiance. 

Accueil confiant

Après le trouble et après l’incompréhension, voilà la troisième étape de la foi de Marie dans cet épisode : l’accueil confiant. 

« Je suis la servante du Seigneur ; que tout se passe pour moi selon ta parole. » Ce n’est qu’après cette parole de Marie que l’ange s’en va. C’est la parole de foi et de confiance de Marie qui termine ce récit. 

A-t-elle pour autant tout compris, toutes ses interrogations sont-elles levées ? Ce n’est pas sûr du tout… Mais elle les a surmontées dans la confiance. 

Il y a dans ces paroles de Marie une forme d’obéissance qui n’est pas de la résignation, une soumission qui n’est pas du fatalisme. C’est en réalité une forme de confiance paisible, qui est l’essence même de la foi. Elle connaît le Seigneur. Elle est la servante du Seigneur. Elle choisit de lui faire confiance et accueille, en toute simplicité, sa parole. 


Conclusion

Certes, le destin de Marie était exceptionnel : elle a reçu une faveur particulière en devenant la mère de Jésus. Cet épisode de l’Annonciation est un événement extraordinaire, concernant un mystère extraordinaire : la venue du Fils de Dieu devenu homme. Mais l’extraordinaire surgit dans l’ordinaire. Le tableau de Henry Ossawa Tanner l’exprime de manière remarquable. 

Marie était une jeune femme ordinaire qui a su accueillir l’extraordinaire dans sa vie. Son cheminement de foi évoqué dans le récit de l’évangile de Luc, qui la conduit du trouble à la confiance, en passant par les interrogations, est le chemin ordinaire de la foi. 

C’est pourquoi nous pouvons aussi prendre Marie comme un remarquable exemple pour nous. Elle est un exemple de foi inspirant, qui nous invite à notre tour, dans l’ordinaire de notre vie, à cheminer vers une foi paisible et confiante, qui sait surmonter les troubles et les doutes, et accueillir avec espérance les promesses de Dieu. 


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