Suite et fin de notre mini-série de prédications autour du livret du Synode de l’UEEL, sur le thème : "L’Eglise dans le projet de Dieu pour le monde." Après avoir évoqué l’unité de l’Eglise, puis la singularité de ses membres et l’impératif de communion, le quatrième et dernier chapitre nous invite à nous mettre « En mouvement ».
La phrase mise en exergue cette fois, à nouveau tirée de la pastorale nationale de l’UEEL en 2024 est : "Laissons Jésus sortir !". Cette phrase, qui peut paraître surprenante au premier abord, évoque en réalité le risque, en Eglise, de « confisquer Jésus ». Soit dans un réflexe sectaire, comme si le Christ nous appartenait, soit surtout en oubliant notre mission d’être témoin du Christ au quotidien, en « enfermant » Jésus dans nos Eglises, nos cultes, nos réunions.
Il s’agit en réalité d’inverser une perception faussée. Plutôt que d’attendre que les gens viennent chez nous pour rencontrer Jésus, laissons Jésus les rencontrer là où ils se trouvent. Plutôt que de s’attendre à ce que les gens fassent l’effort d’entrer, sortons nous-mêmes pour vivre avec eux. Plutôt que de laisser les autres faire l’effort de comprendre et de s’adapter à nous, adaptons-nous nous-mêmes pour pouvoir être compris.
Pour la prédication de ce matin, comme dimanche dernier je vous propose de lire un épisode du livre des Actes des apôtres. Un récit dans lequel Pierre a dû accepter de remettre en cause ses certitudes, de sortir de sa zone de confort et d’aller à la rencontre de personnes qu’il n’était pas censé fréquenter… L’épisode est relaté de façon détaillée au chapitre 10 mais nous lirons le récit que Pierre lui-même en fait, au chapitre 11.
Actes 11.1-181Les apôtres ainsi que les frères et les sœurs qui étaient en Judée apprirent que des personnes qui ne sont pas juives avaient aussi reçu la parole de Dieu. 2Quand Pierre monta à Jérusalem, les croyants d'origine juive lui adressèrent cette critique : 3« Tu es entré chez des gens non circoncis et tu as mangé avec eux ! » 4Alors Pierre leur raconta en détail tout ce qui s'était passé. 5« J'étais dans la ville de Jaffa et je priais, dit-il, lorsque j'eus une vision. Je vis quelque chose qui descendait vers moi : une sorte de grande nappe, tenue aux quatre coins, qui s'abaissait du ciel et qui vint jusqu'à moi. 6J'observai attentivement et je vis des animaux quadrupèdes, des bêtes sauvages, des reptiles et des oiseaux du ciel. 7J'entendis alors une voix qui me disait : “Debout, Pierre, sacrifie ces animaux et mange-les !” 8Mais je répondis : “Oh non ! Seigneur, car jamais rien d'interdit ou d'impur n'est entré dans ma bouche.” 9La voix se fit de nouveau entendre des cieux : “Ne considère pas comme impur ce que Dieu a déclaré pur.” 10Cela se produisit trois fois, puis tout fut remonté dans les cieux. 11Or, à l'instant même, trois hommes arrivèrent à la maison où nous étions : ils m'avaient été envoyés de Césarée. 12L'Esprit saint me dit de partir avec eux sans hésiter. Les six frères que j'ai amenés ici m'ont accompagné à Césarée et nous sommes tous entrés dans la maison de Corneille. 13Celui-ci nous raconta comment il avait vu un ange qui se tenait dans sa maison et qui lui disait : “Envoie quelqu'un à Jaffa pour en faire venir Simon, surnommé Pierre. 14Il te dira des paroles qui t'apporteront le salut, à toi, ainsi qu'à toute ta famille.” 15Je commençais à parler, lorsque l'Esprit saint descendit sur eux, tout comme il était descendu sur nous au début. 16Je me souvins alors de ce que le Seigneur avait dit : “Jean a baptisé dans l'eau, mais vous, vous serez baptisés dans l'Esprit saint.” 17Ainsi Dieu leur a accordé le même don que celui qu'il nous a fait quand nous avons cru au Seigneur Jésus Christ : qui étais-je pour m'opposer à Dieu ? » 18Après avoir entendu ces mots, ils se calmèrent et louèrent Dieu en disant : « C'est donc vrai, Dieu a donné aussi à ceux qui ne sont pas Juifs la possibilité de changer et de recevoir la vraie vie. »
Un épisode clé de l’histoire de l’Eglise
Il faut comprendre cette histoire dans le contexte des premiers temps de l’Eglise. Tous les chrétiens étaient alors juifs. Comme Jésus lui-même était juif. Il y avait dans le Judaïsme, et c’est encore vrai aujourd’hui, des règles strictes de pureté, notamment en lien avec la nourriture. C’est aussi ce qui justifiait le fait de ne pas manger avec des non-juifs, par souci de pureté.
L’épisode de la conversion de Corneille a résonné comme un coup de tonnerre. Et les chrétiens de Jérusalem encore attaché aux rites juifs s’en inquiètent. « Tu es entré chez des gens non circoncis et tu as mangé avec eux ! »
Pierre fait alors le récit de son expérience. Il s’attarde sur la vision que le Seigneur lui a envoyé par trois fois pour le préparer à la rencontre avec Corneille, l’autorisant à répondre à son invitation, à aller chez lui, et manger avec lui. Pour Pierre, c’est très clair : « L'Esprit saint me dit de partir avec eux sans hésiter. »
Et puis se déroule alors devant les yeux de Pierre ce qu’il n’avait même pas imaginé : alors qu’il parlait, le Saint-Esprit descend sur Corneille et sa famille. Pierre ne pouvait que se rendre à l’évidence : « Dieu leur a accordé le même don que celui qu'il nous a fait quand nous avons cru au Seigneur Jésus Christ : qui étais-je pour m'opposer à Dieu ? »
Ce témoignage de Pierre a convaincu les chrétiens de Jérusalem : « C'est donc vrai, Dieu a donné aussi à ceux qui ne sont pas Juifs la possibilité de changer et de recevoir la vraie vie. »
Et ce n’est pas rien. Il s’agit même d’un moment clé dans l’histoire de l’Eglise. C’est l’épisode qui symbolise l’ouverture de l’Evangile aux païens. Un moment de bascule, qui prendra encore du temps pour être pleinement intégré. Le grand défi interne des premières années de l’Eglise était en effet la cohabitation des chrétiens d’origine juive et des chrétiens d’origine païenne, on le perçoit dans la suite du livre des Actes des apôtres, et dans bon nombre d’épîtres du Nouveau Testament.
Un chemin de conversion
Ne pourrait-on pas transposer ce récit dans notre contexte ? L’enjeu n’est plus, pour nous, entre les juifs et les non-juifs. Mais n’y a-t-il pas, parfois, des personnes que nous excluons de fait ? Quels sont celles et ceux vers lesquels nous n’allons jamais, avec qui nous ne voulons rien avoir à faire, que nous considérons comme des infréquentables ? Vous me direz sans doute « mais non, personne, l’Evangile est pout tout le monde. » C’est vrai… en théorie. Mais en pratique, qu’en est-il ?
La Bonne Nouvelle de Jésus-Christ doit nous mettre en mouvement vers le monde et notre prochain et non pas nous amener à nous retrancher entre nous dans l’Eglise. Mais pour cela, il y a un chemin à faire… un vrai chemin de conversion.
On a tendance, en tant qu’évangéliques, à limiter la conversion à l’élan initial, au début de notre engagement de foi. Mais c’est une dynamique qui doit se poursuivre tout au long de notre vie chrétienne. On a sans cesse à se convertir, c’est-à-dire à ajuster la trajectoire de notre vie pour nous tourner vers Dieu et vers notre prochain.
Quel chemin de conversion Pierre a-t-il dû faire dans cet épisode ? Et quel chemin est-ce que ça nous invite à faire nous-mêmes, aujourd’hui ?
1° Il se laisse interpeller par Dieu.
Pierre priait et il a reçu une vision. Il a été réceptif à cette vision. Même si ça ne s’est pas fait tout seul. Même s’il a d’abord résisté. Et même si Dieu a dû répéter l’opération en donnant trois fois la même vision. Ça permet d’ailleurs de mesurer le pas immense, culturellement, que Dieu allait demander à Pierre.
2° Il se laisse déplacer
Il se laisse déplacer physiquement et culturellement, en allant chez Corneille. Et on l’a dit, c’était loin d’être évident… Mais Pierre se laisse aussi déplacer intérieurement, spirituellement, en se laissant remettre en question par ce qu’il voit chez Corneille, en discernant ce que Dieu est en train de faire, alors qu’il ne s’y attendait pas du tout.
3° Il assume ce qu’il a fait
Pierre est prêt à rendre compte de ce qui s’est passé. Il assume ce qui pouvait apparaître comme une transgression. Lorsqu’on sort du cadre, on s’expose aux critiques et aux accusations. Pierre l’assume, devant les responsables de l’Eglise de Jérusalem.
Se laisser interpeller, se laisser déplacer et assumer. Voilà trois impératifs à vivre pour être vraiment en mouvement, et ne pas rester enfermés dans nos habitudes, nos traditions, nos certitudes.
Chaque étape est importante. On peut se laisser interpeller et en rester là, ne pas pour autant se laisser déplacer, prendre le risque du changement, de sortir de sa zone de confort. Et puis on peut se laisser déplacer et ne pas forcément assumer ensuite, mais relativiser, minimiser voire revenir en arrière. Le mouvement est alors annulé…
Pour être des chrétiens en mouvement, ou être ensemble une Eglise en mouvement, sommes-nous prêts à emprunter le même chemin que Pierre avec Corneille ? Pour être en mouvement, sommes-nous prêts à nous faire bouger ?
Sommes-nous prêts à nous laisser interpeller ?
Ou sommes-nous prisonniers de nos certitudes, arcboutés sur nos principes, enfermés dans nos a priori ? Comme pour Pierre, ça ne se fait pas tout seul, on résiste parfois… Mais le chemin de la maturité spirituelle passe par l’acceptation de remises en question, par la capacité à se laisser interpeller par Dieu, parfois à travers notre prochain. Quand était-ce la dernière fois que vous vous êtes laissés interpellé et que cela changé vos convictions, ou votre manière de vivre votre foi ?
Sommes-nous prêts à nous laisser déplacer ?
Ou sommes-nous prisonniers de notre confort, de nos habitudes et nos traditions, explicites ou implicites ? Laissons Jésus sortir ! N’essayons pas de le garder pour nous… D’ailleurs, nous ne pouvons pas le retenir. Il est déjà dehors… et il nous y attend. Et si on vit avec « ceux du dehors » et non coupés du monde, on se rendra peut-être compte qu’ils ne sont pas simplement des « perdus » qui doivent être évangélisés mais que ce sont des hommes et des femmes avec lesquels le Seigneur chemine déjà, de multiples façons. C’est bien ce que Pierre a constaté avec Corneille !
Sommes-nous prêts à assumer ?
Assumer signifie être prêt à vivre parfois en décalage, voire à contre-courant. Ce n’est pas facile, et ça peut être fatiguant.
Vous connaissez peut-être cette exhortation de l’apôtre Paul en Romains 12.2 : « Ne vous conformez-pas au siècle (ou au monde) présent ». On entend cette exhortation comme une mise en garde contre le fait de se conformer aux valeurs, aux pratiques qui ont cours dans le monde. Et ce n’est pas faux. Le danger existe. Mais le siècle présent, ça peut être aussi le modèle qui a cours dans l’Eglise, voire les carcans dans lesquels on cherche, même sans s’en rendre compte, à enfermer parfois les croyants.
Il ne s’agit pas de ne pas se conformer au monde pour se conformer à une religion, une Eglise ou une théologie. La deuxième partie de Romains 12.2 nous invite à être transformés par une intelligence renouvelée (sous-entendu : par Dieu). On pourrait dire : ne vous laissez pas enfermer, pensez par vous-mêmes ! Utilisez votre intelligence éclairée par le Saint-Esprit. Et assumez !
Conclusion
Laissez Jésus sortir ! Et allez le rejoindre dehors... Laissez-le vous emmener là où vous ne vous y attendez pas. Et pour cela, soyez prêt à être interpellé et déplacé. C’est ça le mouvement ! Attention, ça peut secouer un peu…
Mais ça en vaut la peine, parce que le mouvement, c’est la vie. Cette vie, c’est celle que l’Esprit saint, le Souffle de Dieu, déverse en nous et fait déborder de notre cœur.
« Celui qui croit en moi, dit Jésus, des fleuves d’eau vive couleront de son sein. » (Jean 7.38)
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