Notre poursuivons notre mini-série sur le livre des Proverbes, et en particulier le premier recueil de maximes attribuées à Salomon.
Un des secrets des Proverbes dans la Bible, c’est qu’ils ne disent pas tout. Parce que les formules sont courtes, pour être percutantes, elles sous-entendent parfois certains mots. Pour bien les comprendre, il faut donc mener une petite enquête, chercher les indices qui nous permettent de reconstituer l’ensemble et de trouver les parties manquantes. Si on est reste à une lecture en surface, on ne trouve pas le trésor qui s’y cache…
Une fois ce travail d’enquête mené, nous pourrons prendre un peu de recul et nous demander quelles leçons nous pouvons en tirer pour nous aujourd’hui.
6 Il y a des bénédictions sur la tête du juste ; la violence couvre la bouche des méchants.
7 Le souvenir du juste est une bénédiction ; le nom des méchants tombe en pourriture.
8 Le cœur sage accueille les préceptes ; les lèvres imbéciles courent à leur perte.
9 Celui qui suit la voie de l'intégrité marche en sécurité ; celui qui prend des voies tortueuses sera découvert.
10 L'œil qui cligne est une cause de peine ; les lèvres imbéciles courent à leur perte.
11 La bouche du juste est une source de vie ; la bouche des méchants couvre la violence.
12 La haine éveille des querelles ; l'amour couvre toutes les offenses.
13 Sur les lèvres de l'homme intelligent se trouve la sagesse ; il y a un bâton pour le dos de celui qui est dépourvu de raison.
14 Les sages tiennent la connaissance en réserve ; la bouche de l'imbécile, c'est la ruine prochaine.
(Proverbes 10.6)
Ici, nous avons d’un côté la tête du juste, de l’autre la bouche des méchants… Mais la formule est incomplète : qu’en est-il de la tête des méchants et de la bouche des justes ? Et comment comprendre la deuxième partie de la maxime ? On la retrouve, à l’identique, au verset 11 : « La bouche du juste est une source de vie ; la bouche des méchants couvre la violence. »
Vous remarquerez que dans la NBS que je cite, l’ordre des mots est inversé dans la deuxième partie du verset 11 par rapport au verset 6. Pourtant, en hébreu, la formule est strictement identique. Mais grammaticalement, en hébreu, le sujet peut être indifféremment avant ou après le verbe.
Ainsi, on peut traduire « la bouche des méchants couvre la violence » ou « la violence couvre la bouche des méchants. » Le sens n’est pas le même.
- Si c’est « la violence couvre la bouche des méchants », alors ça veut dire que les paroles des méchants sont pleines de violence. La violence déborde de la bouche jusqu’à la couvrir.
- Si c’est « la bouche couvre la violence des méchants », alors ça veut dire que les paroles des méchants cachent, dissimulent leur violence. La violence est cachée derrière des paroles trompeuses.
J’aurais tendance à préférer cette deuxième option qui me semble mieux convenir à l’esprit des Proverbes.
On pourrait combiner les versets 6 et 11 pour avoir une maxime plus complète (en ajoutant aussi la formule opposée à la bénédiction sur la tête du juste) :
la bouche des méchants couvre (dissimule) la violence, il y a des malédictions sur leur tête.
Les bénédictions et les malédictions, ici, pouvant être comprises soit comme ce que les bénéficiaires du juste ou les victimes du méchant réclament pour eux, soit comme le regard approbateur ou désapprobateur de Dieu directement.
Dans tous les cas, ces deux maximes soulignent que nos paroles révèlent si nous sommes juste ou méchant… Jésus ne dira pas autre chose :
« Celui qui est bon tire de bonnes choses du bon trésor que contient son cœur, celui qui est mauvais tire de mauvaises choses de son mauvais trésor. Ce que dit la bouche, c'est ce qui déborde du cœur. » (Luc 6.45)
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(Proverbes 10.7)
Ici nous avons une opposition stricte entre le juste et méchant. De même entre le souvenir et le nom : ces deux mots désignent ici sans doute la même chose, ce qui reste de nous après notre mort. Mais on a d’un côté la bénédiction, de l’autre la pourriture. Ce n’est pas l’exact opposé de la bénédiction (qui serait la malédiction) mais c’est évocateur…
Ça ne veut pas dire que les méchants ne laissent pas d’empreinte dans l’histoire ou dans notre vie. Mais leur souvenir est comparable à de la pourriture, on n’en tire rien de bon. La trace que les justes laissent, au contraire, est source de bénédiction.
Les justes demeurent des sources de bénédiction même après leur mort, par le souvenir inspirant qu’ils laissent.
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(Proverbes 10.8)
Cette maxime est très courte et percutante ! L’opposition est entre le cœur sage et les lèvres imbéciles. Littéralement, le sage de cœur et les imbéciles des lèvres. Il faut noter que ce n’est pas le cœur sage opposé au cœur stupide. C’est le cœur d’un côté et les lèvres de l’autre. Intéressant ! Le sage écoute et l’imbécile parle…
Ce qui est sous-entendu, c’est ce qui attend les sages de cœur et ce que les imbéciles des lèvres font des préceptes ou des conseils qu’on leur donne. Augmentée, la maxime pourrait être :
C’est donc une maxime qui nous invite à écouter plus qu’à parler. Celui qui écoute sait qu’il a encore à apprendre et il en tire profit. Mais celui qui parle tout le temps croit tout savoir et n’apprend plus rien… ce qui le conduit à sa perte.
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(Proverbes 10.9)
Ici, la maxime est claire : tout est dit. Si on n’a rien à cacher, on peut être en paix. Mais ce qu’on cache finit, un jour ou l’autre, par être révélé. Alors, évidemment, ce n’est pas vrai dans l’absolu. Il y a bien des personnes innocentes qui sont, parfois, condamnées injustement. Et il y a bien des gens malhonnêtes qui ne se font jamais prendre. Mais le chemin qu’emprunte celui qui est malhonnête est tortueux et source d’inquiétudes. Il ne lui procure pas la paix, il le conduit au mensonge, à l’hypocrisie, à l’insécurité…
C’est ce que dénoncera Jésus chez les Pharisiens :
Luc 12.1b-2 : « Prenez garde, leur dit-il, au levain des pharisiens, c'est-à-dire à leur hypocrisie. Tout ce qui est caché sera découvert, et tout ce qui est secret sera connu. »
A l’occasion, Jésus prend de la hauteur, en affirmant que si ça ne sera pas forcément révélé ici-bas, le jour viendra où Dieu fera la lumière et rien ne restera dans l’ombre.
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(Proverbes 10.10)
On retrouve ici une formule déjà vue précédemment, au verset 8, celle des lèvres imbéciles, opposée alors au cœur des sages. Mais ici, elle n’est pas opposée à une formule positive concernant le sage mais elle complète une autre formule négative. Ce qui est surprenant…
Un peu plus tôt dans le livre des Proverbes, le fait de cligner de l’œil est associé à la conduite des personnes malfaisantes :
12 L'homme sans morale est un malfaisant ; il marche, un langage tortueux à la bouche ;
13 il cligne de l'œil, parle avec le pied, fait des signes avec les doigts ;
14 la perversité est dans son cœur, il trame le mal en tout temps, il déchaîne des querelles.
Ce serait peut-être dans notre maxime, le regard moqueur de celui qui regarde les autres de haut, pensant avoir tout compris et n’ayant pas besoin de leurs conseils.
Mais il n’est pas impossible que la deuxième partie de notre maxime soit une erreur de copiste… La version de la LXX (ancienne traduction grecque de l’Ancien Testament) a une tout autre formule ici : « Mais celui qui réprimande franchement procure la paix. »
Le clin d’œil deviendrait peut-être le regard complice de celui qui ferme les yeux sur un comportement répréhensible et qui garde le silence alors qu’une parole franche serait préférable. Le silence complice finit par produire de la souffrance, alors que la parole franche finit par procurer la paix.
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(Proverbes 10.12)
Ici, l’opposition est claire entre la haine et l’amour, et ce qu’elles produisent. La haine provoque des querelles, des divisions, de la violence… l’amour procure la paix et permet la réconciliation, le pardon. La haine allume des incendies, l’amour éteint les flammes.
On en trouve un écho dans l’hymne à l’amour de 1 Corinthiens 13 :
(L’amour) pardonne tout, il croit tout, il espère tout, il endure tout.
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On retrouve ici une maxime qui ne dit pas tout explicitement. Elle parle des lèvres de l’homme intelligent et du dos de l’insensé, qui reçoit un coup de bâton (image d’une punition, d’une sanction). Il manque la mention de la récompense pour l’homme intelligent, et il des raisons de la punition de l’insensé.
Une reconstitution possible de la maxime augmentée pourrait être :
Sur les lèvres de l'homme intelligent se trouve la sagesse, il aura sa récompense ; il y a un bâton pour le dos de celui qui est dépourvu de raison car ses lèvres trahissent sa folie.
C’est bien ici encore les paroles qui révèlent le cœur de chacun, l’intelligent comme l’insensé, le juste comme le méchant.
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(Proverbes 10.14)
On retrouve une opposition entre les sages et les imbéciles. Les sages amassent de la connaissance, les imbéciles parlent. Les sages se retiennent, les imbéciles ne retiennent pas leur bouche. En fait, on est très proche de la maxime du verset 8 : « Le cœur sage accueille les préceptes ; les lèvres imbéciles courent à leur perte. »
Les sages accueillent les préceptes et les amassent dans leur cœur. Les imbéciles ne retiennent rien et parlent sans cesse. Bref, les sages écoutent et les imbéciles parlent !
Application
Récapitulons. Il est beaucoup question de la bouche, des lèvres, bref, de nos paroles dans ces maximes.
Pourquoi une telle insistance sur les paroles ? Parce qu’elles peuvent avoir un impact immense, positif ou négatif. Et parce qu’elles sont révélatrices de notre cœur. Quelles pistes ces maximes nous donnent-elles quant à l’usage de notre parole ?
1. D’une manière générale, le sage écoute et l’imbécile parle
Ça ne veut pas dire, évidemment, que le sage ne parle jamais, sinon personne ne pourra profiter de sa sagesse. Mais ce qui est sûr, c’est que c’est rarement celui qui parle le plus qui est le plus sage… Savoir écouter, prêter attention à l’autre, est une marque de sagesse qu’il faut cultiver.
2. Quand il parle, le sage le fait à bon escient
Il fait preuve d’à-propos et de courage. Il ne le fait pas pour s’écouter parler ou épater la galerie mais pour être utile. Et parfois cela demande du courage parce qu’il est, dans certaines circonstances, plus facile de rester silencieux. Ne jamais parler n’est donc pas non plus une preuve de sagesse. Parfois, il est nécessaire de parler…
3. Les paroles du sage sont source de bénédiction
Elles édifient, elles encouragent, elles interpellent… Il s’agit donc toujours de s’interroger sur l’impact de nos paroles. Et si possible, avant de les dire ! Et pour cela, il est important d’examiner nos intentions : dans quel but, avec quelles intentions vais-je parler ? Pour bénir, faire du bien, ou pour maudire, faire du mal ? Les intentions ont autant d’importance que les paroles elles-mêmes.
Je vous laisse avec ces 3 repères utiles quant à l’usage de nos paroles. Ils nous invitent à veiller autant sur notre cœur que sur nos lèvres. Prenons le temps d’y réfléchir…
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