dimanche 15 juin 2025

Une question de fierté

Je vous propose de lire un des textes bibliques prévus pour ce dimanche. Il s’agit de quelques versets dans la lettre que l’apôtre Paul a écrite aux chrétiens de Rome. C’est un des écrits les plus denses de la Bible, un trésor inestimable pour nourrir notre foi et construire notre théologie, c’est-à-dire notre discours sur Dieu, notre compréhension de Dieu et de son œuvre. Mais ça demande aussi un petit effort d’interprétation… 

Romains 5.1-5
1Ainsi, nous avons été reconnus justes par la foi et nous sommes maintenant en paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus Christ. 2Par Jésus nous avons, par la foi, eu accès à la grâce de Dieu en laquelle nous demeurons fermement. Et nous mettons notre fierté dans l'espoir d'avoir part à la gloire de Dieu. 3Bien plus, nous mettons notre fierté même dans nos détresses, car nous savons que la détresse produit la persévérance, 4que la persévérance produit le courage dans l'épreuve et que le courage produit l'espérance. 5Cette espérance ne nous déçoit pas, car Dieu a répandu son amour dans nos cœurs par l'Esprit saint qu'il nous a donné. 

Je ne sais pas ce qu’il en est pour vous mais ce qui me surprend quand je lis ce texte, c’est l’usage par Paul du verbe traduit en français par « mettre sa fierté ». Il l’utilise deux fois.

Le verbe grec n’a pas de connotation particulière. Il ne désigne pas forcément de la vantardise ou de la forfanterie. Tout dépend de quoi on tire sa fierté… Il n’empêche que je ne suis pas sûr que ce soit un vocabulaire qu’on utilise facilement pour parler de notre foi !

Aujourd’hui, on a sans doute plutôt tendance à faire profil bas. On ne veut pas embêter les autres avec notre foi. On préfère rester discret. Et quand on est amenés à témoigner de notre foi, on le fait avec prudence. 

C’est vrai qu’il y a souvent une méfiance, peut-être moins par rapport à la foi que par rapport aux religions. Et on peut le comprendre… 

Quand on considère ce qu’on a pu faire au nom de la foi, y compris la foi chrétienne, on ne peut pas faire les fiers ! On peut même partager la colère qui s’exprime parfois, et même avoir honte de certaines choses qui ont été faites au nom de Dieu, justifiées par une instrumentalisation de la Bible. Violences, oppressions, guerres, discriminations… les exemples ne manquent pas, malheureusement. Vraiment, il n’y a pas de quoi être fier !

Et ce serait trop facile de dire : « ça, c’est chez les autres mais pas chez nous ! » On sait aujourd’hui, grâce à la salutaire libération de la parole à laquelle on commence à assister, qu’il y a bien dans les Eglises en général, et dans les familles chrétiennes, des violences sexistes et sexuelles, des phénomènes d’emprise psychologie, de graves abus d’autorité. Ça existe « chez nous » aussi !

Evidemment, il faut les dénoncer avec la plus grande fermeté, et surtout ne pas rester silencieux, refuser de les nier, ou pire encore de les couvrir. Notre Union d’Eglise a voté lors de son dernier Synode une charte d’engagement pour lutter contre les abus et tout type de violence. Et je rappelle la ligne d’écoute qui a été créée pour les protestants et dont vous trouverez le numéro dans le hall d’entrée. 

Est-ce que ça signifie que le texte de l’apôtre Paul n’est plus pertinent ? En réalité, de son temps déjà, il y avait des abus dans les Eglises, et d’ailleurs il ne se prive pas de les dénoncer quand il le faut dans ses lettres ! Ça ne l’empêche pas ici d’inviter ses lecteurs à exprimer leur fierté. Mais pour quels motifs ? 

Il ne s’agit pas de « faire les fiers » mais bien de reconnaître à sa juste valeur le trésor que représente notre foi, ou plus précisément l’objet de notre foi. Ce qui compte, ce n’est pas tant notre foi elle-même que la bonne nouvelle en laquelle nous croyons. 


Entre la grâce et la gloire

Dans les paroles de l’apôtre Paul, deux mots résument cette Bonne Nouvelle : la grâce et la gloire. On les retrouve dans le verset 2 : « Par Jésus nous avons, par la foi, eu accès à la grâce de Dieu en laquelle nous demeurons fermement. Et nous mettons notre fierté dans l'espoir d'avoir part à la gloire de Dieu (l’espérance de la gloire). »

Ces paroles traduisent la posture du croyant aujourd’hui, entre ce qui est déjà là et ce qui doit encore arriver, entre ce que nous avons déjà et ce que nous attendons encore. On pourrait dire que le croyant se situe entre la grâce et la gloire, et c’est l’espérance qui fait le lien entre les deux. 

La grâce aujourd’hui

Paul parle d’une grâce dans laquelle nous demeurons fermement. Elle est donc déjà là. On pourrait même dire qu’elle est le préalable nécessaire à tout le reste. La grâce, c’est ce qui est accordé de manière imméritée, c’est le don gratuit. C’est le contraire de la rétribution qui, elle, se base sur les mérites. Paul associe à la grâce le fait d’être justifié et celui d’être en paix avec Dieu. 

Il ne faut pas faire de la grâce un concept abstrait, théologique ou philosophique. La grâce, c’est avant tout la façon dont la faveur de Dieu se manifeste. Et elle est étroitement liée à la personne de Jésus-Christ. Recevoir la grâce, c’est recevoir le don de Dieu. Et c’est bien dans la personne de Jésus que Dieu se donne. 

Être croyant, c’est se reconnaître au bénéfice de la grâce de Dieu, c’est recevoir ce que Dieu nous donne, c’est rencontrer par la foi Celui qui s’est donné : Jésus-Christ.  De là, tout le reste découle. 

Peut-on être fiers de la grâce ? Non, pas vraiment. On peut être heureux, reconnaissants mais ce n’est pas un motif de fierté personnelle. Être croyant ne nous rend pas meilleur que les autres. Il faut se garder absolument de tout sentiment de supériorité, refuser de prendre la posture de juge de notre prochain. Ça, c’est le contraire de la grâce. C’est une négation de la grâce reçue. 

La gloire demain

Il faut comprendre que dans ce contexte, lorsque Paul parle de fierté, cela n’a rien à voir avec de l’orgueil. Justement parce qu’elle repose sur la grâce, le don gratuit de Dieu, et qu’elle nous fait entrer dans une espérance basée sur les promesses de Dieu. 

Il ne s’agit pas d’être fiers de nos soi-disant exploits de croyants ! Il s’agit d’être fier du trésor que représente la grâce de Dieu, la paix et l’espérance qu’elle nous procure. Il s’agit de reconnaître leur juste valeur et notre privilège de les connaître. 

L’aboutissement de notre espérance, c’est la gloire. Mais qu’est-ce que la gloire ? Pour faire simple, on peut dire que la gloire de Dieu, ce n’est rien d’autre que sa présence. Cette gloire promise au croyant au bout du chemin, c’est tout simplement la présence de Dieu dans toute sa plénitude. 

Ça n’a donc rien à voir avec la gloire que pourrait nous offrir la célébrité ou des exploits sportifs. Il faut d’ailleurs se garder d’envisager la foi de cette façon. Et au cas où on l’oublierait, l’apôtre Paul nous ramène les pieds sur terre en nous rappelant que notre vie chrétienne est faite aussi de paradoxes. 

Il le dit d’une façon un peu surprenante : « nous mettons notre fierté dans nos détresses… » Non pas, évidemment, qu’on se réjouisse d’être dans la détresse. Mais à cause du chemin sur lequel nous engage la foi, certes semé d’embûches, mais avec un horizon fait d’espérance : « nous mettons notre fierté dans nos détresses, car nous savons que la détresse produit la persévérance, que la persévérance produit le courage dans l'épreuve et que le courage produit l'espérance. »

Être chrétien, c’est être dans un processus d’espérance. Un processus dans lequel tout ce qui nous arrive peut se révéler utile. Parce que, au-delà des obstacles, c’est le chemin qui compte, et l’aboutissement où mène le chemin. La gloire, nous la recevons en espérance, et elle nous attend au terme d’un chemin semé d’embûches. Mais Dieu est là pour nous y accompagner. 

De quoi sommes-nous fiers finalement ? Des promesses de Dieu ! Celles qui nous garantissent un horizon éternel, et celles qui nous assurent de sa présence dès aujourd’hui, en particulier au cœur des difficultés, des détresses et des épreuves. 


Être fiers de quoi ? de qui ?

Vous l’aurez compris, la fierté dont parle l’apôtre Paul est un peu particulière. Elle n’a rien à voir avec l’orgueil. Sinon la grâce serait niée. Il s’agit surtout, pour le chrétien, d’être fier de la Bonne Nouvelle que nous portons, fier de Dieu et son amour, fier de Jésus-Christ notre Sauveur et maître ! Voilà de quoi, ou plutôt de qui nous sommes fiers !

Il ne s’agit donc pas de « faire le fier » mais de reconnaître à sa juste valeur la Bonne Nouvelle extraordinaire en laquelle nous avons cru.

Cette fierté nous décentre de nous-mêmes. C’est le contraire de l’orgueil. Elle nous décentre sur Dieu, de qui provient toute grâce. Elle nous décentre sur notre prochain, que nous sommes appelés à aimer, comme Dieu les aime. Nous refusons la posture du juge pour prendre celle du serviteur. Nous refusons la posture du donneur de leçon pour prendre celle du témoin. 

L’enjeu pour nous, ce n’est pas notre réputation, ce n’est pas notre Eglise, ce ne sont pas nos valeurs ou notre morale. L’enjeu c’est la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ. Et le témoignage que nous pouvons rendre, simplement, en paroles et en actes. Evidemment, il s’agit de le faire sans pression, sans manipulation, avec un respect total de la liberté d’autrui… sinon, une fois de plus, ce n’est plus de la grâce dont nous serons témoins.  

Si nous savons être simplement des serviteurs et des témoins, rien de plus et rien de moins, alors nous pourrons être fiers tout en restant humbles. Parce que notre fierté ne repose pas sur nous-mêmes ou nos mérites illusoires, elle réside en Dieu qui s’est donné en Jésus-Christ. 

Alors oui, soyons fiers de la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ, pour assumer sans complexe notre foi et en témoigner sans honte. 


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